Dossier d’œuvre architecture IA77001055 | Réalisé par
Philippe Emmanuelle (Rédacteur)
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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Mercier Marianne (Rédacteur)
Mercier Marianne

Chargée du recensement et de la protection au titre des Monuments historiques

Correspondante du label "Architecture contemporaine remarquable"

Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Ile-de-France

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  • enquête thématique régionale
Lycée Jules-Ferry
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France
  • Commune Coulommiers
  • Adresse 4 rue Henri Dunant , 6 rue des Templiers
  • Cadastre 2020 AD 60
  • Dénominations
    lycée
  • Parties constituantes non étudiées
    cour, cantine, préau

La couleur en partage : le lycée Jules-Ferry de Coulommiers

Historique et programme

             En pleine période de croissance démographique, la région parisienne se dote massivement de logements et d'équipements publics, accélérant ainsi l'urbanisation de ses zones périphériques. Ce phénomène provoque également la mutation de la carte scolaire des départements de grande couronne. Des cités scolaires de capacité importante, destinées à accueillir des élèves externes et internes, parcourant parfois de grandes distances, sont construites en secteurs péri-urbains. Jouant un rôle important à l'échelle du département, tant sur le plan de l'histoire de l'éducation que sur celui de la structuration d'un territoire essentiellement rural, la cité scolaire Jules Ferry de Coulommiers incarne un exemple de cette typologie d'établissements.

             Alors que la ville de Coulommiers aménage son plateau septentrional du Theil, lieudit «la ville haute», plusieurs équipements scolaires sont programmés pour accueillir les élèves, de la maternelle au baccalauréat. À défaut de connaître les conditions précises de la commande du lycée Jules Ferry en l'absence de sources sur ce sujet, on retiendra que l'établissement est issu d'un concours «conception-construction» lancé par le ministère de l'Éducation nationale en 1963 pour un groupe d'établissements scolaires[1] : il s'agit d'une procédure de commande publique généralisée par la direction de l'équipement scolaire universitaire et sportif (DESUS), créée en 1956 sous la houlette de Charles Brunold, directeur de l'enseignement du second degré, et pour laquelle la consultation impose l'association des architectes, des ingénieurs et des entreprises. Cette administration clé pour l'État, véritable cheville ouvrière au service de la planification centralisée en faveur de l'équipement scolaire, est chargée de faire appliquer la circulaire interministérielle du 1er septembre 1952 qui établit un schéma-type fondé sur un module de 1,75 m.       

             Le choix d'un maître d'œuvre comme Émile Aillaud suit la logique de la DESUS, qui confie de nombreux chantiers au cercle des architectes membres du conseil général des bâtiments de France, auquel sont soumis les grands projets de constructions scolaires et dont l'influence est notoire. Émile Aillaud est également architecte-conseil du ministère de l’Éducation nationale pour les constructions scolaires et sportives.

             Prévu pour une capacité de 2200 élèves, le programme définit une cité scolaire mixte qui comprend un lycée d'enseignement classique et moderne avec externat, internat et demi-pension, un collège d'enseignement technique (CET) avec externat, internat et demi-pension ainsi que des ateliers de mécanique. Si la mixité tend à se généraliser dans les établissements des années 1960, les bâtiments conservent néanmoins la séparation des sexes. Des installations sportives importantes sont prévues : deux gymnases, une piscine et un stade agrémenté des terrains de sports collectifs. Des logements de fonction intègrent également le programme. Les travaux sont réceptionnés en 1970.

             La ville confie en même temps à Émile Aillaud la construction d'un groupe scolaire (primaire et maternelle) à proximité du lycée, suivant le même modèle de bâtiments et au moyen d'un mode constructif de préfabrication identique.

         L'architecte[2]

                       Émile Aillaud (1902-1988) entre à l’École des beaux-arts de Paris en 1921 dans l’atelier Gromort et Arretche. Il est diplômé en 1928. Il débute sa carrière d'architecte en 1922 chez André Ventre pour lequel il travaille jusqu’en 1932.

             Lié au milieu de la mode, il réalise avec Étienne Kohlmann le pavillon de l'Élégance et de la Parure à l'Exposition internationale des arts et des techniques à Paris, en 1937. Après la guerre, il est architecte-urbaniste des Houillères de Lorraine (1945-1949), et construit des bâtiments industriels et des groupes de maisons, notamment la cité Bellevue à Creutzwald (1945-1947). À la même époque, il est également urbaniste du Ministère de la reconstruction et de l'urbanisme (MRU) pour Cahors et Villers-en-Argonne et architecte en chef de la reconstruction d'Arras vers 1950.

             Il est membre du comité de L'Architecture d'aujourd'hui de 1952 à 1955 et chef d'atelier à l’École des beaux-arts de 1965 à 1967.

             Il réalise à partir des années 1960 plusieurs cités et grands ensembles très originaux, et le logement social devient sa préoccupation majeure. Opposé aux principes de la Charte d'Athènes et influencé par l'architecture moderne "tempérée" des pays scandinaves, il tente d'introduire d'autres valeurs que celles dictées par les exigences fonctionnelles. Refusant la logique "effrayante" du chemin de grue, il postule pour une vision plus poétique et culturelle de l'architecture et recherche des solutions novatrices et humaines. Ainsi, bien que restant dans le carcan de la préfabrication lourde, il dessine souvent des bâtiments courbes qui rompent avec l'orthogonalité habituelle des grands ensembles, et agrémente ses cités d'espaces publics urbains (parcs paysagers, places, etc.).

             Il réalise successivement :

- La cité de L'Abreuvoir à Bobigny, 1956-1960,

- Les Courtillières à Pantin, 1958-1964,

- Le quartier du Wiesberg à Forbach, 1960-1965,

- La Grande Borne à Grigny, 1964-1968,

- Le quartier de La Noé à Chanteloup-les-Vignes, 1971-1975.

                      Ses études de réhabilitation dans les années 1980, mettant toujours l’accent sur la couleur, témoignent, non de l’échec de cet ensemble, mais de la fragilité de tout le secteur locatif de l’après-guerre. Autre ensemble d’habitation un peu postérieur : les tours peintes de nuages du quartier Picasso à Nanterre sont un élément familier du paysage proche de La Défense (Aillaud est architecte en chef de la zone Tête de La Défense). Il fut aussi architecte-conseil du ministère de l’Éducation nationale pour les constructions scolaires et sportives.

 

[1]Outre Coulommiers, la commande concerne aussi le collège d'enseignement général (CEG) de Nangis (77), le collège d'enseignement secondaire (CES) de Tournan (77), le CEG de Claye-Souilly (77), le collège d'enseignement technique (CET) d'Arnouville (95), un lycée et un collège à Tourcoing (59). Le CES de Villiers-sur-Marne (94) et le collège de Dugny (93) semblent avoir été construits dans le cadre d'une commande ultérieure.

[2]Source de la notice biographique : http://www.citechaillot.fr/ressources/expositions_virtuelles/portraits_architectes/biographie_AILLAUD.html

 

Description

Implantation dans le tissu urbain

 Situé dans une zone périphérique progressivement lotie au XXe siècle, le lycée Jules Ferry est éloigné du centre-ville, implanté sur d'anciens terrains agricoles. Les vastes espaces disponibles ont été transformés en un tissu hétérogène, peu dense, composés d'habitat pavillonnaire individuel, d'ensembles de logements sociaux, d'équipements publics et de grandes infrastructures de service.

  Plan[1]

Le plan masse adopte le principe d'une juxtaposition orthogonale de barres peu élevées (R+ 3 pour l'externat, R+2 pour l'internat et les logements, rez-de-chaussée pour la demi-pension) qui forment des unités isolées et réparties par fonction. Les corps de bâtiments s'organisent sur trois terrasses de niveaux légèrement décalés, ce qui renforce l'effet de semi-clôture des différents espaces. Un travail de liaisons entre les corps de bâtiments, ainsi que l'aménagement paysager souligné par des plantations arborées, anime la monotonie des blocs tout en contribuant à unifier l'ensemble. Cette configuration originale, qui contraste avec les courbes employées habituellement par Aillaud, cherche à réduire l'impression de grande collectivité. L'intérêt des recherches dont témoignent les plans masses de cette période constitue l'enjeu essentiel pour les maîtres d'œuvre puisque ces dernières sont l'unique moyen de rompre l'impression dominante d'unité formelle.

 La place accordée aux installations sportives est inhabituellement importante. L'usage d'une partie d'entre elles est mutualisé avec le groupe scolaire voisin. En revanche, conformément au programme, il n'est pas prévu d'espaces dédiés à la vie collective et à la détente des élèves, hormis les réfectoires et les préaux.

  À l'origine, la grande parcelle sur laquelle a été construit le lycée était complètement ouverte sur son environnement, renvoyant ainsi au modèle du campus universitaire. L'ensemble a été clôturé depuis lors.

  Répartition des espaces

 En l'absence de détails sur la répartition précise des enseignements, on retiendra que la traduction spatiale du programme sépare l'enseignement général de l'enseignement technique. Au sud de la parcelle, on accède au lycée par les deux cours dévolues aux bâtiments de l'externat pour l'enseignement général. Les locaux de l'administration accueillent les usagers immédiatement sur la droite. Après avoir traversé cette première zone, on accède à la cour et aux ateliers du CET, puis aux gymnase et à la piscine. Seule la demi-pension, placée au centre du plan masse, est commune au lycée et au CET. À l'origine, elle comportait néanmoins des réfectoires distincts et était entourée de jardins. Un cheminement principal conduit enfin aux bâtiments de l'internat, situés en fond de parcelle, garçons d'abord, puis filles. Cette position de semi-isolement témoigne d'une recherche d'intimité dans la vie collective dédiée au temps extra-scolaire.

 Mode constructif

Construits en béton armé en collaboration avec l'ingénieur Ashton Azaïs et l'entreprise OCIB[2], les bâtiments sont issus du procédé de préfabrication lourde Camus, retenu pour la rapidité d'exécution des travaux. À la structure en béton sont associés plusieurs types de panneaux, de format identique et percés d'ouvertures en longueur, en bandes discontinues. Ces jours tamisent l'éclairage intérieur et brisent l'effet de jour brutal des grandes baies. Constitué de deux parois de béton avec isolant, chaque panneau est installé à l'aide d'une grue et correspond à un module de deux ou trois trames. Les panneaux sont élaborés en usine, où l'on y intègre le plus d'équipements possible (châssis de fenêtres, canalisations pour les réseaux, etc.). Les dalles de planchers, pleines, sont également des éléments préfabriqués et standardisés en béton armé, ayant pour longueur la largeur du bâtiment et pour largeur la dimension de la trame (1m75). Ils sont revêtus de carreaux de grès cérame, matériau choisi pour sa facilité d'entretien.

 Exemple emblématique de la normalisation de la construction scolaire, le lycée Jules Ferry est aussi le seul cas de figure qui, en apparence, prend des libertés avec la trame habituellement sensible en façade. Habituellement soulignée par le rythme vertical des travées formées par le duo baie + allège, on ne perçoit plus distinctement, depuis l'extérieur, l'organisation des classes. Comme à son habitude, Aillaud parvient à contourner le carcan normalisé.

Certains locaux à rez-de-chaussée (préaux et services) sont couverts en voûtes minces de béton, autoporteuses, de 6 cm d'épaisseur et avec étanchéité. Ces voûtes sont reçues sur des poteaux à deux branches en forme de Y encastrés au sol, autre motif reconnaissable des constructions d'Aillaud.

 Les gymnases, aujourd'hui détruits, étaient issus du même procédé de préfabrication lourde. Des portiques métalliques associés à une série de poteaux en Y en béton encastrés au sol, conçus avec une portée de 20 m, supportaient la couverture composée de voûtes en voile mince de béton armé.

Traitement des façades

 Traités sans monumentalité, les blocs de bâtiments se répondent les uns les autres avec originalité, malgré la normalisation imposée. La composition générale, reposant sur la juxtaposition de barres, évite l'effet de répétition et de monotonie par les choix esthétiques que le maître d'œuvre a opérés en façades : le jeu plastique de perforation des murs à la manière de claustra et le revêtement mural de pâte de verre colorée animent les simples parallélépipèdes. Les motifs dessinés par les ouvertures sont devenus une des signatures de l'architecte, au point que le lycée en a fait son logo.

 Pour distinguer les unités fonctionnelles, la couleur joue un rôle essentiel dans la composition générale : bleu foncé et gris clair pour l'externat, bleu clair pour l'internat des garçons et vert clair pour l'internat des filles, ocre pour l'administration. Cette palette colorée résulte d'un travail mené en finesse sur les nuances du ciel et de la végétation par Fabio Rieti, fidèle collaborateur d'Émile Aillaud.

 On signalera aussi la signature formelle des préaux couverts et ouverts, avec leurs voûtes en sinusoïdes supportées par des poteaux en Y, qui contiennent les descentes d'eaux pluviales.

  Grâce une écriture architecturale personnelle et libre, la proposition columérienne d'Émile Aillaud s'inscrit naturellement dans sa carrière, à rebours des solutions académiques. Elle fait suite à la construction de «l'école jaune», aujourd'hui collège Jean Jaurès, à la cité des Courtillières de Pantin (1957-1964) : identifiée comme un prototype, cette dernière a été édifiée en 1959-1960 au moyen du chemin de grue, selon le même procédé Camus. La composition uniquement fondée sur une grande barre de 140 m de long abritant les classes et sur laquelle viennent se greffer des blocs perpendiculaires dédiés aux services, a servi de modèle aux réalisations scolaires postérieures d'Émile Aillaud.

 Décors

 Par un arrêté du 31 octobre 1969, Gilles Aillaud et Fabio Rieti sont désignés par le ministre des affaires culturelles[3] pour le compte du ministre de l'Éducation nationale, afin de réaliser la décoration au titre du 1% artistique :

 - Deux grandes mosaïques de pâte de verre sur les murs-pignons des dortoirs D1 et D4 (6,50 m x 15,50 m) ayant pour sujet Paysages et animaux sont l'œuvre de Gilles Aillaud. Ils représentent un okapi et une otarie : « les façades représentent deux paysages, deux animaux, deux climats psychologiques aussi, deux solitudes»[4].

 - Un labyrinthe composé de trois murs de brique situé à l'entrée du lycée, dont les courbes rappellent les serpentins des grands ensembles de Pantin ou Grigny, est illustré par une bande dessinée de céramique d'une longueur de 25 m. Pensé comme une galerie de portraits d’hommes célèbres, un premier projet de «Kaléidoscope de la culture universelle»[5], devait accueillir les élèves. C’est finalement une frise de 42 tableaux représentant les 42 puissances de 10 mesurant l’univers, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, qui a été réalisée. Ce labyrinthe dissimule la vue des cours, divise et oriente le flot d'élèves vers les classes.

 Ces trois œuvres sont actuellement en très mauvais état.

Enfin, un dernier décor prenait place sur le mur d'entrée du CET, avant la démolition de ce dernier : un panneau de céramique de 2,50 m x 10 m environ, intitulé Le levier et réalisé par Fabio Rieti.

 Modifications

 Hormis la démolition des gymnases et de la piscine permettant l'agrandissement des ateliers, l'ensemble a connu peu de modifications. Point fort de cet établissement, le plan masse est resté intact. Une partie des anciens réfectoires a été transformée en centre de documentation, les anciennes cuisines ont été remplacées par une salle d'examen. Un bâtiment a été construit pour accueillir un nouveau réfectoire. Une partie des préaux couverts a été obturée pour abriter des espaces dédiés aux rencontres des élèves.

  Toutefois, le lycée devrait faire l'objet de travaux importants à court terme en raison de son état sanitaire critique provenant de problèmes d'infiltration au niveau des jointements des murs pignons et des façades.

[1]Centre d'archives d'architecture du XXe siècle, 078 IFA calques 3

[2]Société d'organisation, coordination et industrialisation du bâtiment

[3]Centre d'archives d'architecture du XXe siècle, IFA 078 1048/3

[4]Centre d'archives d'architecture du XXe siècle, IFA 078 1048/3

[5]Centre d'archives d'architecture du XXe siècle, IFA 078 1048/3

  • Murs
    • béton
  • Toits
    béton en couverture
  • Étages
    2 étages carrés
  • Couvrements
  • Élévations extérieures
    élévation à travées
  • Couvertures
    • terrasse
  • Énergies
  • Typologies
    ;
  • Techniques
    • céramique
  • Représentations
    • animal
  • Statut de la propriété
    propriété de la région, Propriété du Conseil régional d'Île-de-France.
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler
  • Protections

  • Précisions sur la protection

    Label Architecture contemporaine remarquable (ACR) décerné en 2020.

Annexes

  • SOURCES
Date(s) d'enquête : 2020; Date(s) de rédaction : 2022
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel
Philippe Emmanuelle
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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Mercier Marianne
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Chargée du recensement et de la protection au titre des Monuments historiques

Correspondante du label "Architecture contemporaine remarquable"

Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Ile-de-France

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