En 1893, le quartier des Moulineaux, à l'Ouest d'Issy, vient compléter le nom de la commune. Affirmant ainsi son étendue territoriale le long de la rive gauche de la Seine, la jeune municipalité connait un développement rapide avec l’essor de l’industrie. Verrerie, briqueteries, brasserie, cartoucherie, manufacture de tabac, blanchisseries, imprimerie font croitre la population. Les essais des pionniers tel qu’Henry Farman attirent les foules de curieux et conduisent, au fil des années, à l’installation des premiers ateliers, puis usines, de construction aéronautique. La population double de 1921 à 1936, impliquant pour les édiles de la doter d’équipements administratifs et culturels. Ils lancent ainsi une politique de construction publique intense, à l’instar de Boulogne-Billancourt ou Courbevoie, incarnée par l’édification d’ambitieux hôtels de ville ou salles des fêtes.
En 1930, le maire Justin Oudin charge l’architecte Marcel Chappey de la construction du nouveau Théâtre municipal. Cet audacieux programme mixte (1) imbrique gymnase, salle de spectacle convertible pour les réunions et bals, « justice de Paix » (2) et douze autres espaces de réunion. La façade, quoique alignée sur l’avenue et mitoyenne, signale avec un certain faste l’échelle du projet. Percée de trois portes au rez-de-chaussée soulignées par un balcon-marquise, surmontées de grandes baies verticales à l’étage, puis terminée par un étage d’attique, elle affiche sa monumentalité. Les imposantes fenêtres en plein cintre du foyer de la salle de spectacle, ornées d’admirables grilles décoratives conçues par Raymond Subes, confèrent un aspect graphique et moderne à l’ensemble de la composition. Des mosaïques au blason de la ville, composé de petits moulins à vent surmontés d’un avion, ainsi que des motifs stylisés, allégories des arts, complètent cette façade d’inspiration classique, dont l’enduit aux tons roses, savamment élaboré « de béton coloré avec de la brique pilée » (3), imite « à la perfection le grès vosgien » (4).
La grande salle de 1500 places, « vaste agora couverte » (5), composée de quatre portiques de béton armé, a conservé sa large portée de 27 mètres et son ossature d’origine. En revanche, les panneaux en « frottis métallique brillant […] donnant l’impression de bois métallifié » (6), conçus par le décorateur Henri Rapin, ont disparu. Dans le foyer, accessible par un large escalier agrémenté d’une rampe en fer forgé signée Raymond Subes, un vitrail de dalles de verre et ciment est venu remplacer la verrière abstraite d’origine, oeuvre de l’atelier Barillet soufflée par une explosion lors d’un attentat dans les années 1960. Le sol d’origine du foyer, à damier de carreaux blanc et noirs et pointes d’or, a malheureusement été remplacé, comme les lustres Art déco de trois mètres d’envergure en métal nickelé qui l’éclairaient. Dans le hall du vestibule subsistent, de l’oeuvre du maitre-verrier, des panneaux noirs et blancs représentant des thèmes populaires et des scènes de commedia dell’arte.
Ayant connu bien des vicissitudes, devenu Palais des Arts et Congrès d’Issy (P.A.C.I.) en 1988, rénové depuis à deux reprises (en 2006 et 2018), le théâtre municipal d’Issy-les-Moulineaux, bien que remanié, constitue un jalon important dans l’évolution des salles de spectacle de petite couronne, lui valant une protection au titre des Monuments historiques.
(1) Le vitrailiste Louis Barillet la qualifie du « type d'un programme d'urbanisme moderne ». Voir BARILLET, Louis [interview], « Le vitrail », L’Amour de l’Art, 1932, p. 361
(2) Expression d’alors désignant l’actuel tribunal de petite instance.
(3) « Salle des fêtes à Issy-les-Moulineaux », L’Architecture d’Aujourd’hui, n°7, octobre-novembre 1933, p. 113
(4) SEE, Charles-Edouard, « Salle des Fêtes à Issy-Ies-Moulineaux », La Construction Moderne, 26 juin 1933, p. 590
(5) « Salle des fêtes à Issy-les-Moulineaux », op. cit., p. 115
(6) SEE, Charles-Edouard, op. cit., p. 587