Dossier d’œuvre architecture IA75000329 | Réalisé par ;
  • enquête thématique régionale, lieux de spectacle 1910-1940
Cortot (Paris, 17e arrondissement), salle de concert
Œuvre monographiée
Copyright
  • (c) Stéphane Asseline, Région Ile-de-France

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France - Paris
  • Commune Paris 17e arrondissement
  • Adresse 78 rue Cardinet
  • Cadastre 2022 BQ 37
  • Dénominations
    salle de concert
  • Genre
    de musicien
  • Destinations
    salle de spectacle

Fondée au lendemain de la Première Guerre mondiale par Auguste Mangeot, directeur de la revue Le Monde musical, et Alfred Cortot, pianiste de renommée internationale, l’École normale de musique a été pensée, dès son origine, comme une institution pédagogique de haut vol destinée à former des « musiciens complets », futurs concertistes ou enseignants, en les confrontant à un panel de compétences musicales très large au travers de classes instrumentales, de musique de chambre, de direction d’orchestre, mais aussi de composition, d’histoire de la musique et de théorie. Les cours assurés par une soixantaine de professeurs titulaires étaient complétés par des ateliers animés par des personnalités invitées, parmi lesquelles Pablo Casals, Reynaldo Hahn, Arthur Honegger et Igor Stravinsky. D’abord installée dans un immeuble de la rue Jouffroy-d’Abbans (Paris 17e), l’école utilisait une salle de concert située dans le 9e arrondissement, rue d’Athènes[1], mais, bientôt à l’étroit dans ces locaux peu commodes, elle emménage en 1927 dans un hôtel particulier à l’angle du boulevard Malesherbes et de la rue Cardinet (Paris 17e).

Construit en 1881 par l’architecte Léopold Cochet, cet édifice (offert à Alfred Cortot par la marquise de Maleissye) disposait d’une parcelle adjacente occupée par des dépendances. Soucieux d’offrir à leurs étudiants un lieu où ils pourraient exercer leur talent devant un public mélomane, les fondateurs de l’établissement décident de dédier cet espace disponible à la création d’une salle de concert. Dans ce milieu pédagogique effervescent, le théâtre des Champs-Élysées est considéré comme le temple de la musique contemporaine et c’est tout naturellement vers les frères Perret que se tournent Cortot et Mangeot. Depuis l’aventure mémorable du théâtre de l’avenue Montaigne, l’agence-entreprise a acquis une maîtrise constructive exceptionnelle grâce à la commande de halles industrielles, d’ateliers d’artistes et aussi d’une église de banlieue qui était en passe de devenir, aux yeux des spécialistes, une véritable icône du béton armé[2]. Auguste et Gustave Perret avaient également réalisé le théâtre éphémère de l’Exposition des arts décoratifs de Paris.

Composition volumique

En 1928, au moment où ils ont été sollicités par la direction de l’École normale de musique, les frères Perret avaient déjà conçu cinq salles de spectacle. Ils s’étaient forgé, face à ce type de programme, une théorie : un théâtre, outre la technicité de son espace scénique, devait offrir au public un cadre architectural très sobre et cependant harmonieux lui permettant de se mettre lui-même en représentation. La géométrie de la salle devait naturellement prendre pour modèle la figure enveloppante du cercle qui cristallisait, selon eux, l’image même de la société. Un tel idéal semble inaccessible dans le contexte contraignant de la rue Cardinet. Il s’agit d’élever ici, sur un terrain oblong (9 m x 29 m), une salle de 400 places dotée d’une scène susceptible d’accueillir vingt-cinq musiciens. La configuration de la parcelle, sa relation avec l’hôtel particulier, la nécessité d’un accès principal depuis la rue, tout appelait une organisation en longueur : les gradins se seraient alignés passivement face à une scène étroite rejetée au fond du volume bâti (à la manière d’un cinéma).

Cette solution, qui aurait ôté à la salle son aura et son humanité, ne peut convenir aux frères Perret. Le parti inattendu qu’ils ont adopté est de placer l’orchestre vers le milieu de la parcelle, en débord sur la cour, et d’étirer les gradins transversalement, sur toute la longueur du terrain. Ce choix paradoxal (qui risque, à première vue, de plaquer les auditeurs contre l’orchestre) leur a permis de résoudre, d’un coup, l’ensemble des problèmes. Le positionnement de la scène rend sa communication aisée avec l’école (l’entrée des musiciens étant nettement séparée de celle du public), les conditions d’écoute et de visibilité s’en trouvent considérablement améliorées (la distance avec les spectateurs étant réduite de moitié) et les angles morts, de part et d’autre, peuvent recevoir les escaliers. Quant à la salle proprement dite, elle ressemble, avec ses gradins tendus en arc d’un bout à l’autre du volume, à une vraie salle de concert.

Cette disposition insolite a supposé une série d’ajustements spatiaux et des corrections dimensionnelles très subtiles : visuellement symétrique, la salle est en réalité asymétrique, rythmée par des travées qui ne sont, en dépit des apparences, ni égales, ni carrées. La scène, placée latéralement, à la fois au-dedans et au-dehors du volume de référence, peut se lire comme une entité autonome. Largement ouverte vers les gradins, elle semble s’offrir, du fait de sa béance, le luxe d’un proscénium. Sa forme presque ovale (dérivée du cylindre) et son échelle généreuse suppriment tout effet d’écrasement. Par cette agilité compositionnelle, les frères Perret ont réussi à insérer dans l’existant un parallélépipède utile, parfaitement équilibré.

Acoustique et intériorité

La construction de l’édifice a été extrêmement rapide (octobre 1928 - juin 1929)[3]. On a posé d’abord la toiture pour protéger le chantier des intempéries. On a réalisé ensuite la scène et les gradins, les balcons et les escaliers. Composée d’un ordre majeur (huit poteaux, dont deux se transforment en colonnes pour encadrer la scène) et d’un ordre mineur (limité à la hauteur des loges), l’ossature se glisse entre les murs mitoyens, divisant la salle en trois travées identifiées par leur plafonnement (trois caissons définis par les poutraisons). Les remplissages (là où aucun mur existant ne vient clore l’ossature) sont en brique, revêtus de pierre côté rue, laissés apparents côté cour. La façade sur la rue Cardinet exprime par son opacité l’intériorité du programme. Cette élévation aveugle correspondait, pour les frères Perret, au caractère d’un lieu de spectacle, grande boîte dont la véritable fenêtre (le cadre de scène) se trouve à l’intérieur. La salle Cortot est un grand coffre clos sur lui-même.

Son volume interne, tapissé de feuilles de contreplaqué d’okoumé (4 mm) fixées sur des tasseaux de bois, est un chef-d’œuvre acoustique. Incurvé en partie haute, le mur de scène diffuse les sons en direction des gradins. L’ossature brute de décoffrage, dorée à la feuille de bronze, s’harmonise avec les tons chaleureux des parois. La rudesse des bétons, les panneaux d’okoumé simplement cloués, les défauts de coffrage non ragréés confèrent à cette salle une atmosphère raffinée qui ajoute à sa performativité un charme indicible.

Lors de l’inauguration de l’édifice, Alfred Cortot prononça un discours resté célèbre : « D’autres que moi diront à Auguste Perret, avec la compétence nécessaire, pour quelles raisons techniques ils admirent la salle qu’il a construite pour les besoins de l’École normale de musique. Pour moi, qui ai été témoin du coup de génie par lequel il a transformé un emplacement défavorable de forme et de proportion en un amphithéâtre dont les lignes évoquent la perfection grecque tout en s’inspirant de ce modernisme raffiné dont le théâtre des Champs-Élysées offre le plus bel exemple qui soit au monde, je ne puis que le remercier d’avoir donné aux mélomanes comme aux virtuoses le cadre idéal dans lequel la musique paraît plus belle aux oreilles de ceux qui l’écoutent et plus proche au cœur de ceux qui la font. Il nous avait dit, à Mangeot et à moi : « je vous ferai une salle qui sonnera comme un violon ». Il a dit vrai. Mais il se trouve, ce qui dépasse nos espérances, que ce violon est un stradivarius[4] ».

[1] Il s’agissait d’un petit théâtre à l’italienne situé au n° 10 de la rue d’Athènes (Paris 9e). Cette salle faisait partie d’un ancien hôtel particulier acquis en 1892 par la Société des agriculteurs de France qui la mettait à la disposition de l’École normale de musique.

[2] L’église du Raincy marque le début de la notoriété internationale des frères Perret.

[3] La salle Cortot a fait l’objet de plusieurs articles dans la presse de l’époque. Cf. COGNIAT, Raymond, « Une nouvelle salle de musique de A. et G. Perret », Art et décoration, octobre 1929, p. 124-128 ; IMBERT, Charles, « La salle de concerts de l’École normale de musique, rue Cardinet, à Paris, Perret frères architectes-constructeurs », La Technique des travaux, octobre 1929, p. 543-551 ; COGNIAT, Raymond, « Nouveaux théâtres. Salle de musique par A. et G. Perret », L’Architecture, 15 octobre 1930, p. 379-380 ; MAYER, Marcel, « La salle d’études de l’École normale de musique, par A. et G. Perret », L’Amour de l’Art, n° 2, 1931, p. 83-85.

[4] CORTOT, Alfred, « L’école normale de musique », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 7, octobre 1932, p. 64.

Auteur du texte Joseph Abram, architecte, historien.

Le bâtiment est construit sur un terrain oblong (9 m x 29 m). En façade, la structure en béton et ses remplissages de brique sont revêtus de pierre. Ce choix confère au bâtiment aveugle un sobre raffinement. Les réminiscences classiques sont appuyées par un unique élément ornemental et fonctionnel : la frise géométrique de la corniche qui sert à dissimuler les bouches d'aération du système de ventilation de la salle. La salle elle-même est dotée de 400 places et d'une scène susceptible d'accueillir vingt-cinq musiciens. La configuration de la parcelle conduit les architectes à choisir un parti original : l'orchestre est placé vers le milieu de la parcelle, en débord sur la cour, et les gradins sont tendus en arc et étirés transversalement sur toute la longueur de l'espace. La scène, d'une forme presque ovale, est largement ouverte et encadrée de poteaux qui forment colonnes. La symétrie apparente est feinte, l'espace est en effet rythmé par des travées dont la taille inégale est habilement masquée. Des panneaux de contreplaqué d'okoumé couvrent les murs intérieurs tandis que l'ossature brute de décoffrage, mais dorée à la feuille de cuivre, reste apparente.

  • Murs
    • béton béton armé
    • pierre appareil en damier parement
  • Toits
    béton en couverture
  • Plans
    plan régulier
  • Étages
    rez-de-chaussée, 1 étage carré
  • Couvrements
    • dalle de béton
  • Élévations extérieures
    élévation ordonnancée sans travées
  • Couvertures
    • terrasse lanterneau
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier de type complexe cage ouverte
    • escalier dans-oeuvre : escalier droit en maçonnerie
    • escalier dans-oeuvre : escalier tournant en maçonnerie
  • Typologies
    salle rectangulaire à balcon arrière comprenant des extensions latérales (1ère moitié 20e siècle)
  • État de conservation
    bon état
  • Techniques
    • sculpture
  • Représentations
    • ornement architectural, colonne, ordre colossal
    • ornement géométrique, carré
    • ornement figuré, figure fantastique humaine ou semi-humaine, humain fabuleux symbole des arts,
    • ornement en forme d'objet, instrument de musique, lyre
  • Précision représentations

    Hall comprenant des bustes de personnalités (dont Auguste Perret et Alfred Cortot) et un bas-relief à l'antique de Tinayre, allégorie de la musique.

  • Mesures
    • Nombre de places : 400 personnes ((jauge initiale))
  • Statut de la propriété
    propriété d'un établissement public de l'Etat
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler
  • Éléments remarquables
    élévation, salle de concert, élévation intérieure, lambris, plafond, vestibule
  • Sites de protection
    site inscrit
  • Protections
    inscrit MH, 1965/12/21
    classé MH, 1999/10/29
  • Précisions sur la protection

    Bâtiment de la salle de concert : inscription le 21 décembre 1965 passée en classement le 29 octobre 1999.

  • Référence MH

Bibliographie

  • COLLINS, Peter, « Le Constructeur », Splendeur du Béton. Les prédécesseurs et l’œuvre d’Auguste Perret. Paris : Hazan [traduction Lebrun, Pierre], 1995, p. 453-463

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • « Salle Cortot de l'Ecole normale de Musique. 1928-1929 », in ABE, Kuniko (FOUCART, Bruno, directeur de thèse). L’architecture théâtrale et son décor en France, 1910-1940. Du rêve antique à la modernité lumineuse. Paris : Université Paris IV Sorbonne, 2007, tome 2, p. 67-70 et tome 3, fig. 145-153

    « Salle de concerts de l'Ecole normale de Musique, à Paris », in POULAIN, Roger. Salles de spectacles et d’auditions. Paris : Vincent, Fréal et Cie., 1933, pl. 55-61

    « Ecole normale », in RAOULT, ?. Annuaire du théâtre. 1944-1945. Paris : Annuaires néo-techniques, 1945, p. 322

    TEXIER, Simon. « Théâtres de l'acoustique. Salle Cortot : un violon pour un pianiste », in ANDIA (de), Béatrice et RIDEAU, Géraldine. Paris et ses théâtres, architecture et décor. Paris : Action artistique de la ville de Paris, 1998, p. 204-205

Périodiques

  • « Salle de concert de l’Ecole normale de musique », L'Architecte. Paris, mai 1930, p.43-44

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • « Ecole normale de musique – Salle de concerts à Paris », Encyclopédie d’Architecture. Paris : Albert Morancé, tome 3 [1931 ?], s.d., pl. 53-58

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • ABRAM, Joseph, « La salle Cortot. L’intérieur d’un violon », Monuments Historiques. Paris, juillet-août 1991, n° 175, p. 64-68

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • COGNIAT, Raymond, « Une nouvelle salle de musique de A. et G. Perret », Art et Décoration. Paris, octobre 1929, p. 124-128

    Bibliothèque nationale de France, Paris
  • CORTOT, Alfred, « L’école normale de Musique », L’Architecture d’Aujourd’hui. Boulogne-Billancourt, octobre 1932, n°7, p. 63-69

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • IMBERT, Charles, « La salle de concerts de l’Ecole normale de Musique, rue Cardinet, à Paris ». La Technique des Travaux, Paris/Liège, octobre 1929, p. 543-551

    Bibliothèque historique de la ville de Paris
  • RAYON, Jean-Paul, « Scarpa à la salle Cortot. L’Amour et la Discorde », Les Cahiers de la Recherche architecturale. Marseille : Editions Parenthèses, deuxième trimestre 1986, n°19, p. 110-113

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • ZAHAR, Marcel, « La nouvelle salle des concerts de l’académie de Musique », L’Art Vivant. Paris, 1er août 1929, p. 606-608

    Bibliothèque nationale de France, Paris
Date(s) d'enquête : 2017; Date(s) de rédaction : 2021
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