De la fin du second Empire au début du 20e siècle, plusieurs théâtres des Nouveautés se succèdent, changeant d’adresses au gré des aménagements urbains et des propriétaires. Le dernier de la série, sis au 20, boulevard des Italiens, est rasé en 1911 lors du percement de la rue éponyme. Célèbre pour avoir accueilli George Feydeau et ses pièces à succès, le théâtre, quoique détruit, est encore dans toutes les mémoires lorsqu’en 1921 Benoît-Léon Deutsch (1), alors jeune auteur dramatique et futur directeur de théâtres parisiens, décide de lui redonner vie.
Le nouveau théâtre de 500 places est prévu en sous-sol, sous le parterre du cinéma Max Linder, constitué d’une solide dalle de ciment armé. Ses piliers robustes de soutènement laissent envisager l’excavation du terrain et la création d’un espace sécurisé. C’est une opportunité que saisit la direction. Elle confie la réalisation du chantier à Adolphe Thiers (2), qui s’illustrera par la reconstruction du Moulin Rouge quelques années plus tard. La façade principale sur le boulevard, aujourd’hui disparue, donne le ton : « haute et large, un encadrement avec une frise lui fait une grandiose entrée » (3) ; « On croirait pénétrer dans un temple antique. » (4)
Car malgré les contraintes fortes liées à la nature du projet, l’architecte réussit à créer une salle dont l’ampleur et le confort sont salués par la critique. Ce « véritable théâtre avec des loges, des baignoires » (5) dispose d’un « plateau qui aura la dimension des scènes de Paris» (6) : 14 m de large pour 5,35 de profondeur. Il est pourvu, malgré l’absence de machinerie, de jeux de lumière modernes. La salle, destinée bien davantage aux vaudevilles et pièces de boulevard qu’aux grands spectacles, est agrémentée d’un bar-fumoir et d’espaces de circulation agréables : « pas d’exiguïté mais de superbes dégagements » (7).
Le Directoire inspire l’équipe pour la décoration, qui a « tenu à en respecter scrupuleusement le style, et les peintures, avec leur chauds coloris, les meubles, les appliques électriques, sont bien en rapport avec cette époque » (8). Le staff laisse place à la peinture décorative, apanage du cabaret. La décoratrice Alice Courtois, qui commence alors à être reconnue pour ses aménagements de restaurants, réinterprète ici les motifs à l’Antique. Les saynètes sont surmontées de frise à métopes, dont la stylisation annonce les prémices de l’Art déco. Ces décors dont « le rouge pompéien alternant avec l’or des panneaux peints produit un effet incomparable » (9) demeurent sans équivalent. Préservés, ils ont résisté au passage du temps et font l’originalité des Nouveautés, théâtre parisien atypique et unique en son genre.
(1) Le Fonds Deutsch (Léon-Benoît) est conservé au département des Arts et Spectacles de la BNF, sous la cote 4-COL-26
(2) Un premier projet est soumis par l’architecte à la société « La Générale du cinéma » en janvier 1920. Voir MIDANT, Jean-Paul, « Le théâtre des Nouveautés », « Paris est une fête », Défense et illustration de l'architecture du spectacle, Paris : DRAC, 1989-1990, p. 129
(3) Une autre issue est ouverte sur la Cité Bergère.
(4) DELINI, Jules, « La journée des surprises au Nouveautés hier », Comoedia, 18 avril 1921
(5) DELINI, Jules, « Une visite au futur théâtre des Nouveautés, Comoedia, 6 janvier 1921
(6) Ibid.
(7) DELINI, Jules, « Ce que sera le futur théâtre des Nouveautés, Comoedia, 15 février 1921
(8) Ibid.
(9) VALLEE, Edmond, « Un nouveau théâtre à Paris – Le théâtre des Nouveautés », La Rampe, 14 avril 1921, p. 16
Photographe, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.