Le Palace Theatre, édifié pendant la Première Guerre mondiale à l’initiative du plus grand impresario anglais du moment, Sir Alfred Butt, constitue l’unique collaboration franco-britannique de la décennie 1910 en matière d’architecture théâtrale.
En 1913, Sir Butt, président général de la Société des music-halls parisiens et directeur de dix établissements à Londres, dont les célèbres Palace et Empire, souhaite doter Paris d’une salle spectaculaire digne des établissements d’outre-Manche (1). Il choisit une parcelle enclavée de la rue de Mogador, entre les Grands Boulevards et la rue de Clichy (2). L’ingénieur Germain Roth propose des plans qui sont refusés par le bureau prévention de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. La direction anglaise fait en conséquence appel à Bertie Crewe, ingénieur mondialement connu pour ses réalisations de salles de spectacles, ainsi qu'à Édouard-Jean Niermans. Crewe se charge des plans, et Niermans du chantier (3). Frank Matcham, architecte britannique de renom, inspire le projet. Ses réalisations comptent parmi les plus prestigieuses d’alors, et c’est naturellement que l’une d’entre elles, le Victoria Palace, que Sir Butt vient d’ouvrir à Londres, est choisie comme modèle.
« Paré des derniers perfectionnements » (4), jouissant d'une « belle ordonnance revêt[ant] l’aspect d’un véritable salon » (5), le Palace Theatre est impressionnant. La Grande Guerre retarde l’ouverture de l’établissement, qui a finalement lieu le 21 avril 1919 en présence du président américain Wilson, venu en France négocier les accords de Versailles, du Premier ministre britannique Lloyd George et d’Elie Bérard, ministre français de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Le spectacle d’inauguration « Hello Paris ! », célébrant l’Entente cordiale, rassemble sur scène des artistes internationaux et fait les gros titres. Ce succès initial se dément très vite par la suite. Sir Butt a vu trop grand : il abandonne le Palace Theatre, coûteux, difficilement rentable. Baptisée Mogador en 1920, la salle peine à trouver sa place au sein des établissements de spectacles qui se multiplient dans les Années folles. Malgré certaines parenthèses (gestion des frères Isola, puis de Varna qui en fit un des fiefs de l’opérette), les propriétaires se succèdent au fil des décennies, sans réellement considérer les lieux.
En 1981, un producteur artistique aguerri, Fernand Lumbroso, les investit, et charge l’architecte René Decaux de la rénovation totale du théâtre dans le respect de sa physionomie d’origine. En 2007, le dernier chantier de restauration d’envergure, confié à l’architecte Stéphane Millet, a permis de retrouver les couleurs et moulures d’origine. Mogador s’impose désormais comme une des salles de premier plan de la scène parisienne, s’affirmant depuis quelques années comme le temple des comédies musicales.
(1) « Le théâtre », L’Intransigeant, 28 juin 1913
(2) « Le théâtre – Un nouveau music-hall parisien », Gil Blas, 22 janvier 1914
(3) Les travaux ont connu des ralentissements. La commission supérieure des Théâtres se réunit à deux reprises et demandent des modifications. La Préfecture finit par donner son accord le 1er juillet 1914. Voir MIDANT, Jean-Paul, « Paris est une fête », Défense et illustration de l’architecture du spectacle, 1989-1990, p. 198-200
(4) Spectacles et concerts – Le Palace-Theatre », Le Figaro, 13 avril 1919
(5) « Au théâtre Mogador », Le Gaulois, 21 octobre 1920