« Une fois de plus les Folies-Bergère ont changé de robe, c’est-à-dire d’architecture. La nouvelle salle très au goût du jour parait elle aussi, comme il convient, plus nue qu’autrefois[1] ». C’est en ces termes que Le Journal salue en 1928 la fin des rénovations entreprises par Paul Derval, comédien et directeur des Folies-Bergère, cabaret parisien le plus emblématique des Années folles.
Deux ans plus tôt, Derval a lancé un véritable défi à l’architecte Georges Piollenc[2] et à l’entrepreneur Gabriel Morice, chargés du projet, en décidant de maintenir sa programmation artistique pendant les travaux. Et pour cause, la « perle noire », Joséphine Baker, y fait alors un triomphe avec L’Hyper revue - Un vent de Folie. La célèbre artiste met le feu aux planches et attire le Tout-Paris, rendant inenvisageable d’interrompre le spectacle pendant le chantier.
Le pari est risqué, il s’agit de transformer radicalement le célèbre music-hall édifié en 1869[3]. Certes, les Folies n’en sont pas à leur premier réaménagement. En 1875, Léon Sari, alors directeur, leur a adjoint un large promenoir et un hall grandiose qui marquent définitivement la physionomie des lieux. La façade, quant à elle, a connu un premier remaniement en 1905 lorsque Édouard-Jean Niermans, architecte qui s’illustre alors dans la réalisation de lieux de loisirs, l’a modernisée dans le style Art nouveau en vogue à l’époque. Mais en 1926, les objectifs de Derval sont d’une autre envergure, il projette de bouleverser l’aspect des Folies-Bergère : confortation des fondations, réfection des murs, des plafonds, création d’un deuxième balcon… et réalisation d’un nouveau programme décoratif qui fera date !
Pour satisfaire aux contraintes du chantier, les éléments d’architecture nécessaires sont préfabriqués en atelier selon un procédé facilitant à la fois leur montage sur place et le remplacement rapide des éléments anciens. « Tout de la construction de béton est bâti en dehors, on apporte chaque jour des pans gigantesques de mur, les colonnes, demi-colonne par demi-colonne, les parties des coupoles, etc.[4] ». Un échafaudage monumental de bois et toiles dissimule aux yeux des spectateurs les travaux, auxquels s’affairent nuit et jour les ouvriers en dehors des représentations. Le célèbre music-hall doit, en un temps record, passer d’une capacité de 930 places à 1 750. Au sous-sol une petite salle de 300 places ainsi que des toilettes sont prévues.
Pour l’extérieur, la mise en œuvre inédite des architectes permet de substituer, sans nuisances, l’ancienne façade, qui supporte la toiture et le plancher de la galerie du hall, à la nouvelle. L’intérieur de l’établissement cachait alors un mur de soutènement provisoire afin de remplacer la façade ancienne par une autre. L’audace du chantier et les prouesses techniques mises en œuvre permettent miraculeusement de tenir les délais et sont unanimement saluées.
Quant aux décors, ils sont confiés à Maurice Picaud, dit Pico. Le jeune artiste décorateur, qui collabore déjà avec J.-E. Ruhlmann[5] depuis plusieurs années, renouvelle l’esprit des lieux et magnifie la nouvelle architecture épurée. Dans le vaste hall à galeries, scandé par des colonnes de béton brut, il imagine, pour le plafond de 672 mètres carrés, une œuvre monumentale aux motifs originaux inspirés d’un Orient imaginaire. Pico décline le gris-argent en une infinité de variations qui renvoient la lumière indirecte diffusée des corniches. Le programme décoratif se déploie dans le reste des espaces de circulations et d’apparat dans une cohérence et une harmonie des tonalités et des sujets. Le fleuron de ce programme est sans aucun doute le bas-relief qui vient orner la façade et qui demeure, aujourd’hui, un des derniers vestiges de ces décors remarquables[6]. L’artiste représente la danseuse Lila Nicolska[7], motif qu’il reprend pour le médaillon de la coupole de la salle, dans une composition et un design aujourd’hui iconiques de l’Art déco.
[1] PAWLOWSKI (de), Gaston, « “La grande Folie” aux Folies-Bergère », Le Journal, 18 février 1928.
[2] Cet architecte français, qui a commencé sa carrière en Suisse, en collaboration avec un architecte belge connu, Michel Polak, a réalisé deux salles emblématiques de Tunis : le Coliseum (détruit) et le Colisée.
[3] La salle est inaugurée le 2 mai 1869. Les travaux sont dirigés par M. Plumeret, architecte et inspecteur des bâtiments de la Couronne.
[4] VERNE, op. cit.
[5] Maurice Picaud dessine, pour la desserte dite Meuble au char réalisée par Ruhlmann en 1919, le motif central du meuble représentant une femme conduisant un char.
[6] Le programme décoratif du hall a été modifié par des adjonctions d’Erté dans les années 1930, puis totalement détruit par un nouvel habillage des murs et plafonds dans les années 1970.
[7] Voir DAIX, Didier, « La vie du théâtre – Nouvelles Folies-Bergère », L’Intransigeant. Paris, 15 janvier 1928 ; BEAUDU, Édouard, « Aux “Folies-Bergère” », Le Petit Journal. Paris, 18 février 1928 ; LASSERRE, Jean, « La promenade au music-hall », Gringoire, 23 novembre 1928, p. 2.