Après avoir construit, dans le Sud de la France, plusieurs bâtiments dans un style purement Art déco – notamment le théâtre-cinéma du Colisée à Nîmes, dont la façade est aujourd’hui inscrite au titre des monuments historiques – Georges-Henri Pingusson (1894-1978) se rallie autour de 1930 à une tendance plus moderniste de l’architecture et du mobilier français. Cela le conduit ainsi à intégrer, dès sa création, le comité de rédaction de la revue L’Architecture d’aujourd’hui, au sein de laquelle il jouera un rôle important tout au long de la décennie. Si le théâtre des Menus-Plaisirs, devenu Comédie de Paris, est livré un peu trop tôt pour être publié dans la nouvelle revue, il bénéficiera d’une belle réception critique dans la presse artistique française et internationale[1].
Dans un contexte de réforme de l’architecture théâtrale et du lieu scénique, où Charles Siclis s’était imposé comme l’un des principaux rénovateurs, Georges-Henri Pingusson entreprend en janvier 1929, à la demande de son futur directeur Martial Tallien, l’étude d’un petit théâtre au 42, rue Fontaine à Paris. L’architecte n’en est pas à son coup d’essai : outre les salles de Nîmes et du Grau-du-Roi, il a réalisé, en 1929, le décor du théâtre-cinéma des Capucines qui le fit visiblement connaître à Martial Tallien – travail qu’il cite régulièrement dans ses curriculum vitae et dont certains éléments subsistent (cf. monographie p. X). Pingusson voulait baptiser son nouveau théâtre « du millésime des années à venir 1930 en signe de modernité et de confiance pour le futur » ; il portera finalement le titre « bien désuet, aux senteurs de bergamote, de « théâtre des menus plaisirs », [...] très audacieux pour l’époque puisqu’il affichait pour son premier spectacle : Melle X, danseuse nue[2] ! ».
Le projet de Pingusson est perçu comme un précédent dans le domaine spécifique du cabaret de chansonniers. Constatant l’obsolescence des salles destinées à accueillir ce type de spectacle, le critique Raymond Cogniat juge en effet que « M. Pingusson est le premier qui ait considéré le problème au point de vue d’architecte, avant de s’y montrer décorateur[3]». C’est pourtant lui seul qui exécute, « sans argent, la grande fresque du bar de 4 m de haut et de 7 m de long[4] » figurant le pont d’un paquebot. Il réalise encore une frise courant le long de la salle, qui fait pendant au cadre des loges situées en face ; la composition représente en bas-relief et de manière très stylisée des musiciens et des danseurs ainsi que des masques traités dans la même veine. Pingusson dessine enfin l’intégralité du mobilier : fauteuils métalliques avec garnissage en mousse de caoutchouc et strapontins à armature en bois invisible pour la salle, chaises, tabourets et tables du bar en tube d’acier poli nickelé, appareils lumineux en tubes de verre.
Sur le plan architectural, la difficulté pour Pingusson a été l’exiguïté du terrain (11 mètres sur 18 environ), sur lequel il doit construire une salle pouvant accueillir deux à trois cents spectateurs. L’architecte doit en outre ménager un passage indépendant pour le dancing situé au sous-sol et un autre pour les locataires de l’immeuble mitoyen. « Il n’était pas permis de perdre la moindre place. Les dégagements, les escaliers s’ajustent, sont combinés pour utiliser tout l’espace aussi bien en longueur ou largeur qu’en hauteur[5]. » L’espace théâtre en lui-même, en revanche, ne donne pas lieu à une recherche spécifique, Pingusson demeurant en cela « fidèle au rapport frontal entre le cube scénique et la salle avec balcon[6] ».
La façade sur la rue Fontaine est revêtue de dalles de couleur ocre et animée par une guitare stylisée flanquée de tubes luminescents et, « sans symétrie inutile, répond bien à sa fonction publicitaire. Revêtue de dalles, couleur ocre, qui font une surface unie, c’est une manière de grande affiche. Au vrai, des ouvertures rondes en forme de hublots, évoquent aussi le flanc de quelque paquebot [...]. Intention symbolique ? Pourquoi pas ? Théâtre : départ pour un voyage au pays des rêves[7] », commentera René Chavance. Le volume saillant de la cabine de projection, percé d’oculi, peut alors être assimilé à la cabine d’un navire. C’est en effet au titre de style paquebot, « dont il y a peu d’exemples en France dans le domaine des théâtres[8] », que la façade a été inscrite sur l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques le 31 juillet 1991. Malgré la bonne conservation du revêtement de pierre, la façade de l’ancien théâtre des Menus-Plaisirs – devenu rapidement théâtre de l’Humour et désormais Comédie de Paris – a pourtant perdu une grande partie de ses attributs décoratifs.
[1] Outre les références citées infra, on mentionnera la publication de planches dans « Théâtres Cinémas », L’Encyclopédie de l’architecture, volume III, Paris : Charles Moreau, s. d. [1931 ?], pl. 68 et 71 et « Théâtres des Menus Plaisirs », The Architectural Forum. New-York, p. 173-176.
[2] PINGUSSON, Georges-Henri, « Ma vie professionnelle » [texte manuscrit], s. d. (vers 1975), in ENSBA/SIAF/CAPA, fonds Pingusson.
[3] COGNIAT, Raymond, « La salle des Menus-Plaisirs », L’Architecture, 15 mai 1931, p. 177.
[4] PINGUSSON, Georges-Henri, op. cit.
[5] COGNIAT, Raymond, op. cit., p. 179.
[6] PAULY, Danièle, Théâtre années 20. La rénovation scénique en France, Paris : Institut français d’architecture / Norma éditions, 1995, p. 21.
[7] CHAVANCE, René, op. cit., p. 30.
[8] Arrêté n° 91-919, 31 juillet 1991.
Auteur du texte Simon Texier, professeur à l'université de Picardie Jules Verne, secrétaire général de la Commission du Vieux Paris