Dossier d’œuvre architecture IA75000244 | Réalisé par
  • enquête thématique régionale, lieux de spectacle 1910-1940
Grand Rex (Paris, 2e arrondissement), théâtre-cinématographique
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Stéphane Asseline, Région Ile-de-France

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France - Paris
  • Commune Paris 2e arrondissement
  • Adresse 1 boulevard Poissonnière
  • Cadastre 2022 AH 93
  • Dénominations
    cinéma, théâtre
  • Genre
    d'entrepreneur
  • Précision dénomination
    Théâtre-cinématographique
  • Appellations
    Jacques Haïk, cinéma (ancien)
  • Destinations
    salle de spectacle

« Le spectateur qui pénètre à l’intérieur du Rex voit s’épanouir à ses yeux un paysage. Sous un ciel d’un outremer pur, des villas s’élèvent de chaque côté de l’amphithéâtre […] des villas comme en ont les stars d’Hollywood[1] ! » Le 8 décembre 1932, les Parisiens découvrent l’existence d’un lieu de spectacle unique en Europe : la salle atmosphérique du Rex. Ce théâtre-cinéma[2], surgi à l’angle du boulevard Poissonnière et de la rue du même nom, crée l’évènement.

Fort de plusieurs ouvertures de salles prestigieuses, dont la conversion de l’Olympia en cinéma-théâtre (1929), le célèbre producteur Jacques Haïk, qui s’est fait connaître en distribuant en France les films de Charlie Chaplin, entame en 1931 un nouveau projet jugé totalement extravagant à l’époque : « Encore un cinéma ! Comme s’il n’y en avait pas déjà suffisamment dans la Capitale[3] ! » Ce pari audacieux est calculé : l’édifice qui sort de terre n’a encore aucun équivalent de ce côté de l’Atlantique. Le concept de salle « atmosphérique », censée donner l’illusion d’un spectacle en extérieur sans ses inconvénients, est importé directement des États-Unis où « les Américains ont élevé ces immenses constructions destinées à l’exhibition des films, dans lesquelles le spectateur peut avoir l’impression d’être, non pas enfermé, entre quatre murs, sous un plafond bas souvent étouffant, mais en plein air, en un pays enchanteur, sous un ciel étoilé[4] ».

Jacques Haïk fait appel à un duo d’experts pour mener à bien le chantier. Il associe l’ingénieur new-yorkais John Eberson, rompu à l’exercice, spécialiste des salles atmosphériques, qui vient d’achever les fameux cinémas Loew’s Theatres à New York et le Majestic Theatre à San Antonio au Texas, et Auguste Bluysen, architecte des théâtres de la Michodière et Daunou, mais aussi de plusieurs casinos dont celui du Touquet Paris-Plage. La maîtrise d’œuvre est confiée à l’entreprise Georges Tombu dont la rapidité d’exécution est saluée par les commentateurs de l’époque.

Architecture hors-norme, décors inédits, innovation des effets spéciaux et confort savamment agencés plongent ainsi le public dans l’illusion. Sous une voûte étoilée, les visiteurs pénètrent dans ce vaste espace où sont dispersés 3 500 sièges entre l’orchestre, la mezzanine, les corbeilles et les balcons. Le ciel apparaît comme « le chef-d’œuvre de la décoration[5] », devenant une attraction à part entière. Il s’accorde à des éléments d’architecture qui n’ont plus rien d’accessoire. Formant des paysages fantasmés composés de villas, minarets, murailles et autres édifices évoquant des contrées à la fois proches et lointaines, réelles et rêvées, ils achèvent de parfaire cette immersion. John Eberson et Maurice Dufrêne aménagent ainsi pignons, clochetons, loggias, colonnes, statues et balconnets où se déroulent des numéros artistiques, déroutant le public habitué à diriger son regard vers la scène. Le spectacle est désormais partout.

Les splendeurs de ce nouveau temple du cinéma ne se limitent pas à la salle, elles s’expriment tout autant dans les espaces de convivialité et de circulation. Car, dès l’approche du bâtiment, c’est une « expérience totale » qui doit marquer le spectateur. L’édifice déploie sa masse sur le boulevard et sa physionomie inédite. Sa lanterne à trois plateformes couronnant la rotonde d’entrée, véritable phare dans la ville à la tombée du jour, en impose. La façade-affiche, mur lisse à l’image du théâtre Saint-Georges de Charles Siclis, expose en lettres colorées et lumineuses le nom de l’établissement et des films présentés.

À l’intérieur, tout dans ce palais d’un nouveau genre tend à suspendre le temps. Les services offerts permettent au public de profiter sans entraves du lieu : nurserie et salle de jeux pour les familles, chenil pour les animaux de compagnie, batterie de téléphones publics et bars confortables. Les artistes ne sont pas oubliés, un vaste foyer et 150 loges les accueillant témoignant de l’ampleur des productions proposées et de sa vocation de cinéma-théâtre.

Malgré quelques critiques plus idéologiques qu’architecturales[6], au fil des décennies le succès et l’aura du Rex ne se démentiront plus. Protégé au titre des monuments historiques depuis 1981, fleuron de l’Art déco, il constitue une salle de premier plan de la scène parisienne.

[1] Y., J., « Un nouveau cinéma », L’Intransigeant, 8 décembre 1932.

[2] GOISSAUD, Antony, op. cit., p. 238-247 (voir titre de l’article).

[3] Ibid., p. 239.

[4] TERAU, Jacques, « Une nouvelle formule de cinéma : le Rex », Ciné-Magazine, janvier 1933, p. 41-44.

[5] TERAU, Jacques, op. cit., p. 43. Voir aussi la description de GOISSAUD, Antony, op. cit., p. 244 : « Nous voici dans une Salle atmosphérique, la première pensée que nous avons est de regarder le ciel, il est délicieusement bleu comme en Provence avec je ne sais quoi de cotonneux, de vaporeux. La voussure céleste est faite sur une ferraille avec un plâtre spécialement préparé appelé “macoustie” qui a reçu une peinture spéciale [...] Plâtre et peinture sont fabriqués aux États-Unis, ils sont favorables aux sons et à la réflexion de la lumière ; quand la peinture est sèche, il ne reste aucune parcelle du liant, de l’agglutinant de cette peinture et c’est ce qui constitue le vaporeux du ciel et rien ne s’oppose à la réflexion de la lumière et ne nuit aux sons. Les étoiles et les planètes sont lumineuses, de différentes grandeurs suivant leur éloignement. Les planètes ont une luminosité fixe, les étoiles au contraire sont scintillantes. Les unes et les autres sont constituées par de petites billes en cristal perforées plus ou moins grosses. Ces billes sont éclairées en arrière par des réflecteurs qui reçoivent plus on moins de lumière : la lumière est de teintes différentes très pâles. Pour être scintillantes quelques-unes sont munies d’une petite ventouse mue par l’électricité et qui intercepte la lumière à intervalles réguliers en s’abaissant. Sur ce ciel artificiel les nuages passent. Ils sont obtenus par la projection de photographies de vrais nuages. Et naturellement en attendant la représentation tous les spectateurs ont le nez en l’air. »

[6] Voir en particulier VAGO, Pierre, « Les grands cinémas parisiens », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 7, septembre-octobre 1933, p. 31 : « […] On prétend créer l’impression du plein air, la voûte, peinte en bleu foncé et parsemée d’étoiles, avec quelques nuages passagers, représentant le ciel. Que de telles idées saugrenues aient du succès en Amérique, nous le comprenons encore ; mais pour que le Rex n’ait pas été plus fraîchement accueilli par le public parisien, il a fallu le long abrutissement du public par le film et le music-hall. »

Lors de son érection, la presse est « frappé[e] par la vitesse avec laquelle s'édifie la formidable construction »[1]. Cette dernière s’affiche en effet comme celle de tous les superlatifs : 20 000 m3 de terre extraits, des fondations ensevelies à 16 m de profondeur, un million de kg de fer acheminé, encore davantage de ciment utilisé, 400 000 boulons et rivets forgés[2]. En façade, l’édifice est couronné d’une imposante lanterne à trois plateformes surplombant la rotonde d’entrée. Une façade-affiche signale en lettres colorées et lumineuses le nom de l’établissement et des films présentés.

À l’intérieur, la voûte étoilée couvre le parterre, une mezzanine et un grand balcon, sur une superficie d'environ 1050 m2. La scène de 18 m sur 12, entièrement machinée, accueille onze ascenseurs qui offrent de multiples variations de décors, la possibilité de moduler le plancher, et le surgissement d’un orgue monumental. Le cadre de scène habituel laisse place à un arc-en-ciel luminescent qui constitue, avec le ciel étoilé, l’autre prouesse décorative. L’ensemble est animé par un système savant d’éclairage qui dose la lumière, aussi bien sur scène que dans la salle, selon les effets et atmosphères désirés. À la pointe de l’innovation technique, le Rex bénéficie également d’un système de ventilation unique qui aspire l’air de la salle sous les sièges des spectateurs et va chercher l’air frais sous les toits grâce à un réseau de canalisations. Cette installation est alimentée par 25 moteurs électriques installés en sous-sol.

[1] « Aux établissements Jacques Haïk », Le Petit Journal. Paris, 19 juin 1931. Voir aussi RENNEVILLE, Max. « Comment naît une salle de cinéma », Cinémonde. Paris, 29 octobre 1931, p. 697 : Ce « chantier formidable [qui] s’impose au voisinage comme un géant de fer dont les coupoles égratigneront bientôt les brumes du ciel parisien »

[2] RENNEVILLE, Max, op. cit., p. 697

  • Murs
    • béton pan de béton armé enduit
    • acier pan de fer
    • marbre moyen appareil
  • Toits
    béton en couverture
  • Plans
    plan rectangulaire symétrique
  • Étages
    2 étages de sous-sol, rez-de-chaussée, entresol, 4 étages carrés
  • Couvrements
    • fausse coupole
  • Élévations extérieures
    élévation ordonnancée sans travées
  • Couvertures
    • terrasse
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier tournant à retours sans jour, escalier tournant à retours avec jour cage ouverte
    • escalier dans-oeuvre : escalier droit en maçonnerie
  • Autres organes de circulation
    ascenseur
  • Typologies
    salle atmosphérique (1ère moitié 20e siècle)
  • État de conservation
    bon état
  • Techniques
    • peinture
    • décor stuqué
    • ferronnerie
  • Représentations
    • représentation figurative, sujet mythologique, représentation figurative, sujet profane, scène profane, scène de genre, scène de la vie sociale, scène historique, représentation figurative, sujet profane, scène profane, représentation dont le sujet principal n'est pas l'homme, paysage d'architecture symbole des arts,
    • ornement architectural, ordre antique, ordre toscan, ornement architectural, agrafe, balustre, colonne
    • ornement géométrique, arabesque, carré, cercle, damier, enroulement, entrelacs, étoile, losange, palmette, rosace, torsade, volute
    • ornement végétal, arbre, feuillage, fruit
    • ornement figuré, figure fantastique humaine ou semi-humaine, putto ailé, homme, femme
    • ornement animal, lion
    • ornement en forme d'objet, bateau
    • ornement cosmique, lune
  • Précision représentations

    Grande table extérieure incorporant le nom de l’établissement.

    Angle formant rotonde aux fausses baies moulurée formant des disques rainurés superposés.

    Entrée comportant un sol composé d’un motif centré composé en marbre et d’une peinture représentant une version simplifiée du Zodiaque.

    Décors accompagnant l’ensemble atmosphérique de la salle : ciel étoilé, arc-en-ciel, composantes architecturées en parement.

    Deuxième niveau de l’escalier orné d’une peinture par Henri Mahé illustrant l’abordage d’un navire.

    Bar de l’amphithéâtre arborant des peintures illustrant L’Histoire de la Mère Michel par Henri Mahé. Représentation dans cet espace du Canotage par Lotiron.

  • Mesures
    • nombre de places : 3 200 personnes ((environ, jauge initiale))
  • Statut de la propriété
    propriété d'une société privée
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler
  • Éléments remarquables
    élévation, salle de spectacle, élévation intérieure, escalier, galerie, lambris, pavement, vestibule, voûte
  • Sites de protection
    site inscrit
  • Protections
    inscrit MH partiellement, 1981/10/05
  • Précisions sur la protection

    Façades et toitures, salle avec son décor : inscription le 5 octobre 1981.

Sous-sol réaménagé en salles en 1974.

Bibliographie

  • CHAMPION, Virginie. « Evolution vers le cinéma », in ANDIA (de), Béatrice et RIDEAU, Géraldine. Paris et ses théâtres, architecture et décor. Paris : Action artistique de la ville de Paris, 1998, p. 170-172

    « Modernité en forme, continuité dans l’espace. Modernités technique et esthétique », in HOSSEINABADI, Shahram (CHATELET, Anne-Marie directrice de thèse), Une histoire architecturale de cinémas. Genèse et métamorphoses de l’architecture cinématographique à Paris. Strasbourg : Ecole doctorale de Sciences humaines et sociales, 19 septembre 2012, p. 289-292 (en particulier)

Périodiques

  • « Nouveau cinéma à Paris, boulevard Poissonnière », L’Architecture d’Aujourd’hui. Boulogne-Billancourt, janvier 1932, p. 39-45

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • ALEXIS, Henri, « Rex. Théâtre Jacques Haïk », Paris-Soir. Paris, 17 décembre 1932

    Bibliothèque nationale de France, Paris
  • RENNEVILLE, Max, « Comment naît une salle de cinéma », Cinémonde. Paris, 29 octobre 1931, p. 696-697

    Bibliothèque historique de la ville de Paris
  • GOISSAUD, Antony, « « Le Rex » Cinéma-Théâtre à Paris », La Construction Moderne. Paris, 15 janvier 1933, p. 238-247 ; pl. 61-64

    Cité de l'architecture et du patrimoine, Paris
  • ANTONI, A., « Constructions civiles - Le cinéma-théâtre « Rex », à Paris, Le Génie Civil. Paris, 30 septembre 1933, n°2668, p. 317-323

    Bibliothèque de l'Ecole nationale des ponts et chaussées, Marne-la-Vallée
  • BERY, Maurice, « Evolution ou révolution ? Le premier ciné « atmosphérique » d’Europe est à Paris ! », Je Sais Tout. Paris, 1er février 1933, p. 626-632

    Bibliothèque nationale de France, Paris
  • BRUNON-GUARDIA, G., « Le nouveau cinéma du boulevard Poissonnière », Beaux-Arts. Paris, 30 décembre 1932, p. 1-2

    Bibliothèque nationale de France, Paris
  • OLAM, Pierre, « L’inauguration du « Rex », L’Homme Libre. Paris, 11 décembre 1932

    Bibliothèque nationale de France, Paris
  • V., J., « Un nouveau cinéma », L’Intransigeant. Paris, 8 décembre 1932

    Bibliothèque nationale de France, Paris
  • TERAU, Jacques, « Une nouvelle formule de cinéma « Le Rex » », Ciné-Magazine. Paris, janvier 1933, p. 41-44

    Bibliothèque historique de la ville de Paris
Date(s) d'enquête : 2016; Date(s) de rédaction : 2017
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel