Dans les années 1910, l’Eldorado est le café-concert le plus populaire de Paris. Depuis sa création en 1858, les artistes les plus célèbres s’y succèdent, « amusant la foule de leur monologue et de leur chanson » (1). Mais au début des années 1920, victime du succès du cinéma, le genre n’est plus à la mode. L’Eldorado périclite et perd son public. En 1933, Paul Dubreuil, architecte du Syndicat des directeurs de cinématographes, reçoit commande (2) d’un cinéma-théâtre en lieu et place du célèbre music-hall, doté d’une petite scène permettant d’accueillir des attractions entre les films.
Paul Dubreuil réalise un tour de force en achevant l’édifice en quatre mois (3), non sans résoudre des défis techniques de taille, aidé dans cette tâche par l’entreprise Hennebique, spécialiste du béton armé. En effet, à l’exception de la légère toiture métallique couverte de zinc, l’ossature du bâtiment est constituée entièrement dans ce matériau, désormais roi, qui permet de créer un évidement maximal par la mise en place de points d’appui très espacés. L’absence de piliers, que pallient les porte-à-faux et les encorbellements audacieux, offre ainsi une visibilité totale, que renforce astucieusement la convergence des murs vers la scène. Il en résulte une harmonie esthétique générale indéniable.
A l’extérieur, une façade décorative à chevrons saillants, ouvrage d’art en verre et porcelaine, servait d’affiche publicitaire aussi bien le jour que la nuit, lorsque les titres de films se déployaient en lettres lumineuses. Au revers, ornant le monumental hall d’accueil à galeries, un grand vitrail gravé représentait l’arrivée des Espagnols au Pays de l’Or (l’Eldorado), comme un hommage à l’ancien établissement détruit. Ce témoignage original d’architecture de verre a aujourd’hui disparu, remplacé par une simple verrière vitrée.
Fort heureusement, la salle a conservé son décor d’origine, filant la métaphore d’un pays de Cocagne imaginaire. Parmi les éléments remarquables, le plafond en staff suspendu s’impose comme une prouesse technique et une oeuvre ornementale. Sa forme de pyramide inversée, destinée à répartir le son, confère à la salle une excellente acoustique et diffuse un éclairage indirect subtil (4). La cadre de scène en claustra, constitué de boucliers blanc et or en staff, évoque les armées de conquistadors et la découverte de contrées mythiques. Il sert habilement à diffuser l’air pulsé du chauffage depuis la scène vers le fond de la salle selon un parcours original horizontal, et non vertical (des faux-plafonds vers le sol) tel qu’en usage habituellement (5).
(1) SEE, Charles-Edouard, « Le cinéma de l’Eldorado », La Construction Moderne, 4 mars 1934, p. 376. Voir aussi DELINI, Jules, « L’Eldorado est mort », La Rampe, 1er octobre 1932, p.7 et SALLEE, André; CHAUVEAU, Philippe, Music-hall et Café-concert. Paris : Bordas, 1985, p. 143-146
(2) Brézillon dirige depuis 1912 le Syndicat national des Cinématographes (MEUSY, Jean-Jacques, « Palaces et bouis-bouis », 1895, revue d’histoire du cinéma, numéro hors-série, 1993, p. 95). Il a été le commanditaire du Palais des Fêtes rue Saint-Martin et du cinéma Secrétan Palace rue de Meaux, tous deux à Paris.
(3) « Un café-chantant se fait cinéma », Comoedia. Paris, 10 février 1933
(4) SEE, Charles-Edouard, op. cit., p. 377 : « Le plafond de la salle a une forme destinée à répartir les sons en même temps que pour diffuser l'éclairage »
(5) Ibidem., p. 384. La revue souligne l’intérêt du procédé pour les salles de hauteur limitée.