IA93000605 – Entrepôt commercial Victor Magis, puis atelier de literie et atelier de tapisserie Eberlin (détruit après inventaire)
Entretien avec Madame Monique Navarro, née Eberlin
Propriétaire
18 octobre 2005, Les Lilas, 57, rue Romain-Rolland
Nicolas Pierrot (NP), Région Île-de-France, service de l’Inventaire général du patrimoine culturel
NB : ont été ajoutées, entre crochets, les informations nécessaires à la compréhension de l’entretien
NP : Nous souhaiterions mieux connaître l’histoire de ces bâtiments, des activités qu’ils ont abrité, des hommes qui y ont travaillé ; celle des machines également, notamment cette intéressante cardeuse que vous nous avez montrée, dans l’atelier en appentis, sur le flanc est de la parcelle.
Monique Navarro : Mon grand-père, Henri Eberlin, était tapissier aux Lilas, 25, rue des Bruyères. Il n’a installé un dépôt de marchandises au 57, rue Romain-Rolland qu’à la fin des années 1930. J’ai téléphoné à mon frère [M. Gilbert Eberlin] hier et je lui ai dit : « est-ce que tu sais quand mon père a fait installer la cardeuse ? Est-ce qu’il l’a fait installer après [l’achat de 1946] ? ». Il m’a dit « je crois qu’elle a toujours été là ». Mais il n’a pas su me dire si c’était quand mon père a acheté, ou quand mon grand-père était locataire : parce que mon grand-père n’était locataire que de l’atelier, il n’était pas locataire du reste [maison, bâtiments sur la rue, et nouvel atelier construit après 1945].
NP : Henri Eberlin, tapisser, possédait donc un atelier 25, rue des Bruyères.
MN : Il avait l’atelier là-bas. D’ailleurs, ils étaient même deux tapissiers dans la cour : il y en avait aussi un autre qui s’appelait Bernard, si j’ai bonne mémoire.
NP : Votre grand-père s’est-il installé ici, pour travailler ou se loger ?
MN : Non. Quand j’étais gamine, pendant la guerre, quand mon père était prisonnier, mon grand-père avait son atelier 25, rue des Bruyères. Mais j’ai entendu dire, certainement par mon grand-père ou par un de mes oncles, qu’il louait cet endroit [atelier de la cardeuse] pour y entreposer de la marchandise. Georges (mon père [né en 1903]) achète en 1946. [Lecture d’un document retrouvé par Mme Navarro :] « 18 juin 1946. Office central de répartition des produits industriels. Demande d’autorisation d’ouverture de compte de points. » Il est devenu acquéreur de la propriété le 1er avril 1946. [Autre document dernières échéances à payer auprès d’un administrateur de biens :] « Cabinet… administrateur d’immeuble »… « vous êtes propriétaire depuis le 1er avril 1946 », ancien propriétaire : « M. Grindorges. ».
NP : Ce document confirme que Georges Eberlin était locataire de l’atelier avant la guerre ; mais depuis quelle date ?
MN : Regardez ce papier : 27 mars 46, pour l’ouverture de l’électricité [« Contrat d’abonnement Est-Lumière]. Mais regardez derrière cette date : 12.11.1937. [cette date correspond au début de la location du bâtiment par Victor Magis ; la cession du droit au bail de ce dernier à Henri Eberlin date de 1942]. Donc mon père a acheté le tout lorsqu’il est revenu de prisonnier en 1945, et il a acheté le tout en 1946. Et voilà l’autorisation qu’il avait faite pour mon oncle [son frère Pierre Eberlin] pour construire l’atelier du fond : « Georges Eberlin »/« Ouverture d’un atelier artisanal de literie-tapisserie ». Je ne sais pas comment ils s’étaient arrangés.
NP : Quels étaient les clients de votre père ? A Paris, en banlieue ?
MN : Il avait des clients un peu partout. Je me souviens de mon père qui avait sa petite charrette, et quand il allait rapporter les matelas chez les voisins, cela ne rentrait pas dans la voiture… Il faudrait que je le recherche : j’avais un livre avec les adresses de ses clients : Mme untel, matelas, M. untel…
NP : Quelle était son activité exacte ?
MN : Il faisait de la rénovation, il faisait du neuf. Et mon oncle, lui, s’occupait de tapisserie : fauteuils, canapés. Enfin, ils se débrouillaient tous les deux, et quand mon père n’avait pas de matelas, il travaillait avec mon oncle, c’étaient deux frères, donc… Mais mon père, son rayon, c’était la literie : le sommer tapissier et le matelas en laine. Il travaillait pour les gens qui venaient : « M. Eberlin, j’ai un matelas… ». Pour des clients, mais pas pour des « gros trucs ».
NP : Combien d’ouvriers employait-il ?
MN : Mon père était tout seul. Mon oncle avait du personnel : mon frère [Gilbert Eberlin] a fait son apprentissage chez mon oncle. Des hommes et des femmes. Mon grand-père, quand il était rue des Bruyères, il y avait mon oncle, il y avait mon père avant la guerre, et je me souviens d’une ouvrière qui s’appelait Marie et… Et mon oncle au fond, il avait mon frère comme apprenti, son autre neveu comme apprenti, il devait avoir deux, trois, quatre personnes… Mon oncle lui s’occupait beaucoup de la clientèle, il ne mettait pas la main à la pâte, ou à alors très peu, il recherchait les clients. Mon cousin, qui est rue Esther Cuvier, poursuit l’activité [Pierre Eberlin].
NP : Quand votre père a-t-il arrêté son activité ?
MN : Il a dû arrêter à la fin des années 1970
NP : Comment le travail était-il organisé dans l’atelier.
MN : Je ne m’en souviens plus.
NP : On retrouve dans l’atelier affecté à la fabrication des matelas des ressors et des bois de fauteuils relevant de l’activité de tapisser. Comment l’expliquer ?
MN : Mon frère (tapissier aux Trois Quartiers) venait parfois pour lui faire un fauteuil, en plus de son travail. Mon frère se servait des ressorts. Les ressorts pouvaient servir également aux sommiers. Mais mon père m’avait fait mes fauteuils.
NP : Possédez-vous des photographies intérieures de l’ateliers.
MN : Non.
NP : Qui habitait la maison ?
MN : Elle était louée. Ils ont acheté en 1946, mais mes parents n’ont jamais habité là. Ils habitaient aux cités-jardins, qui n’existent plus : en face du lycée, à la place du centre où vont les personnes âgées.
NP : Les pavillons d’entrée étaient-ils habités ?
MN : A l’UDAC, ils s’appelaient « Malaisé » [orth. incertaine], le père, la mère et la fille. Ensuite, des couvreurs (et plombiers) ont pris les deux côtés. En 65, ils étaient encore là.
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Conservateur en chef du patrimoine, en charge du patrimoine industriel, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.