« Que sera le théâtre de demain ? Comment le savoir ?[1] » s’interrogeait en 1938 Auguste Perret, dans son article de synthèse « Le théâtre ». Et de répondre : « C’est une question de programme, or ce n’est pas l’architecte qui fait le programme. » Il justifiait cette affirmation par l’insuccès du théâtre de l’Exposition internationale de 1925 – « j’ai voulu pour un théâtre éphémère tenter la triple scène, je n’ai pas été suivi » –, rappelant que cette tentative avait pour vocation de « lutter de vitesse avec le cinéma ». Perret demeure convaincu que l’ « avenir est aux très grandes salles comme le théâtre antique ». En dépit d’un programme qui ne parvient pas toujours à s’affranchir de la tradition, ce retour aux principes de l’Antiquité, tant formel qu’esthétique, s’affirme, effectivement, comme la principale source d’inspiration des théoriciens et des architectes-décorateurs de l’entre-deux-guerres. À la fin des années 1930, cet idéal antique et démocratique s’illustre, entre autres, par le développement des amphithéâtres de plein air, espaces culturels aux usages indifférenciés, qui prennent souvent la forme d’imposantes conques de béton. Cette tendance, dont témoigne également l’émergence des maisons du peuple, annonce en filigrane les années 1960 où les lieux de spectacle seront conçus avant tout comme des instruments fonctionnalistes, symboliquement rebaptisés « équipements polyvalents ». Bon nombre de salles, jugés obsolètes, sont alors détruites ou totalement rénovées, sans que soit considérée leur qualité patrimoniale.
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Cette étude témoigne ainsi de la permanence et de la profondeur des questionnements que sous-tend la conception des lieux de spectacle (dont l’architecture théâtrale reste emblématique), de leur place éminente au sein de l’aménagement et de l’organisation de la cité, des représentations sociales, des valeurs voire des utopies qu’ils incarnent. De fait, « vertueuse ou malfaisante selon les cas, l’architecture théâtrale a été taxée de pouvoirs qu’elle n’avait certainement pas. Mais elle a cristallisé sur elle tous les enjeux d’un projet à haut risque, celui de tourner brutalement une page de l’histoire et de tout réinventer[2] ». Ces remises en question structurelles, parfois violentes, n’ont en effet pas toujours permis un temps de réflexion suffisant à la reconnaissance et à la sauvegarde de ces lieux. Souhaitons que cet inventaire patrimonial et cet ouvrage y contribuent à leur mesure.
[1] PERRET, Auguste, « Le théâtre »
[2] Sandrine Dubouilh, « L’architecture comme image du théâtre au XXe siècle. De l’édifice à la friche reconvertie, peut-on se défaire d’une image monumentale de la culture ? » https://journals.openedition.org/doublejeu/1019
Ce texte est tiré de l'article de FAURE Julie, "Derniers éclats du cérémonial du théâtre et rêves d'hémicycles fraternels: l'architecture du spectacle en Ile-de-France" in ASSELINE Stephane, FAURE Julie En scène, lieux de spectacle en Ile-de-France 1910-1940, Lyon : Lieux-dits, 2021