Si l’idée de consacrer un pourcentage du coût des grandes constructions de l’Etat à la réalisation de « décorations monumentales » remonte au Front Populaire[1], soucieux de « fournir du travail aux artistes »[2] durement éprouvés par la crise, c’est en 1947, que Jacques Jaujard, à la Direction générale des Arts et des Lettres du Ministère de l’Education nationale, reprend cette initiative pour pallier le manque de commandes et « enrichir le patrimoine artistique national par des œuvres de valeur qui seraient le témoignage de l’art contemporain »[3]. En 1949, le ministre de l’Education nationale, Yvon Delbos, décide de l’appliquer dans les bâtiments d’enseignement. Mais elle est contestée par les ministères des Finances et du Budget, qui y voient « un détournement de crédits »[4] au profit des arts. Ce n’est que le 18 mai 1951 que Pierre-Olivier Lapie, ministre de l’Education nationale du gouvernement Queuille, signe un arrêté qui, décliné en sept articles toujours en vigueur aujourd’hui, fonde durablement le 1%. Le premier est sans doute le plus déterminant puisqu’il stipule que pour être agréés, les projets de constructions scolaires et universitaires « devront comporter un ensemble de travaux de décoration ». Ces derniers « s’élèveront au maximum à 1% du coût de la construction lorsque celui-ci sera financé uniquement par le Ministère de l’Education nationale et à 1% de la subvention accordée aux collectivités publiques » [5] lorsqu’elles prendront à leur charge ces équipements.
Cette mesure poursuit trois objectifs précis : aider les artistes à vivre de leurs créations, « éveiller le sens esthétique des jeunes générations »[6] et répondre « au souci d’intégrer étroitement les arts dans l’architecture et de renouer ainsi avec une tradition par trop oubliée »[7] - une utopie devenue, après la guerre, l’un des fers de lance des congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM)[8] et d’artistes tels André Bloc ou Fernand Léger.
Directeur général de l’Enseignement du second degré de 1945 à 1951, Gustave Monod est très attaché à la notion de culture, qu’il associe à « la libération de la pensée, la capacité de jugement personnel, l’exercice de la pensée critique »[9]. L’éducation artistique y tient une place centrale : avant même la parution de l’arrêté du 1%, Monod met à la disposition des établissements relevant de sa responsabilité une collection de cent chefs-d’œuvre de l’art français éditée par la Documentation française. « S’il est vrai que l’art doit être pour l’homme cultivé comme une atmosphère où la respiration est plus aisée et plus vivifiante, il est dès lors au plus haut point souhaitable que la première bouffée, pour ainsi dire, en soit donnée sur les bancs de l’école »[10]. Les lycées érigés après 1945, notamment en Île-de-France, constituent donc des terrains naturels d’expérimentation du 1%.
A ce titre, deux d’entre eux sont emblématiques par le nombre de projets de décoration exécutés en leurs murs : en grande couronne, le lycée mixte d'Enghien-les-Bains (voir notice IA 95000368) et dans Paris, le lycée Claude Monet[11]. L’ampleur des commandes passées pour ce dernier conduit à la tenue de deux commissions pour sélectionner les artistes, les 3 décembre 1952 et 18 octobre 1956 [12].
Leur unité tient sans doute à la forte implication de l'architecte du lycée, Roger Séassal, dans la conception de ce programme, qu'il présente dès juillet 1952 au Conseil général des Bâtiments de France et en décembre 1952 au secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts, indiquant "que le crédit affecté aux décorations s'élève à 9 millions de francs environ" [13]. Ce dernier approuve à l'unanimité les projets soumis et souligne leur richesse.
Leur exécution fait l'objet de plusieurs arrêtés pris entre 1953 et 1957.
[1] Sous lequel elle fait l’objet de projets de loi présentés par Mario Roustan et Jean Zay, tous deux ministres de l’Education nationale.
[2] AGUILAR, Yves, Un art de fonctionnaires : le 1%, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 1998, p. 66.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] AN, 19880466/1-3. Ces articles renferment les documents essentiels permettant de retracer l’histoire du 1% artistique.
[6] Art et architecture, bilan et problèmes du 1% [exposition, Halles centrales de Paris, 29 septembre-31 octobre 1970], Ministère d’Etat des Affaires culturelles, Paris, Centre national d’art contemporain, 1970, p. 9.
[7] AGUILAR, Yves, Un art de fonctionnaires : le 1%, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 1998, p. 67.
[8] VIALE, Marie-Laure, « Faire œuvre à la croisée des politiques des arts et de l’architecture sous la tutelle de l’Education : les débuts du 1% de décoration », Un art d’Etat : commandes publiques aux artistes plasticiens 1945-1965 [exposition, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, 30 mars – 13 juillet 2017], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 59.
[9] AN, F 17 17502.
[10] HATTINGUAIS, Edmée, « La décoration des établissements du second degré », dans « Architecture, mobilier et décoration scolaires », L’Education nationale, numéro spécial, mai 1950, p. 44-45.
[11] Bâti comme annexe du lycée de jeunes filles Fénelon à partir de 1947 par l’architecte Roger Séassal, sur l’emplacement de l’usine à gaz désaffectée de l’avenue de Choisy (Paris, 13e).
[12] AN, 19880466/22.
[13] Idem.
Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.