Dossier d’œuvre objet IM75000317 | Réalisé par
Philippe Emmanuelle (Rédacteur)
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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  • enquête thématique régionale
Ensemble de décors d'architecture réalisé au titre du 1% artistique, Lycée Claude-Monet
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France
  • Commune Paris 13e arrondissement
  • Adresse 1 rue du docteur Magnan
  • Cadastre 2020 BA 12
  • Dénominations
    décor d'architecture
  • Appellations
    1% artistique

Si l’idée de consacrer un pourcentage du coût des grandes constructions de l’Etat à la réalisation de « décorations monumentales » remonte au Front Populaire[1], soucieux de « fournir du travail aux artistes »[2] durement éprouvés par la crise, c’est en 1947, que Jacques Jaujard, à la Direction générale des Arts et des Lettres du Ministère de l’Education nationale, reprend cette initiative pour pallier le manque de commandes et « enrichir le patrimoine artistique national par des œuvres de valeur qui seraient le témoignage de l’art contemporain »[3]. En 1949, le ministre de l’Education nationale, Yvon Delbos, décide de l’appliquer dans les bâtiments d’enseignement. Mais elle est contestée par les ministères des Finances et du Budget, qui y voient « un détournement de crédits »[4] au profit des arts. Ce n’est que le 18 mai 1951 que Pierre-Olivier Lapie, ministre de l’Education nationale du gouvernement Queuille, signe un arrêté qui, décliné en sept articles toujours en vigueur aujourd’hui, fonde durablement le 1%. Le premier est sans doute le plus déterminant puisqu’il stipule que pour être agréés, les projets de constructions scolaires et universitaires « devront comporter un ensemble de travaux de décoration ». Ces derniers « s’élèveront au maximum à 1% du coût de la construction lorsque celui-ci sera financé uniquement par le Ministère de l’Education nationale et à 1% de la subvention accordée aux collectivités publiques » [5] lorsqu’elles prendront à leur charge ces équipements.

Cette mesure poursuit trois objectifs précis : aider les artistes à vivre de leurs créations, « éveiller le sens esthétique des jeunes générations »[6] et répondre « au souci d’intégrer étroitement les arts dans l’architecture et de renouer ainsi avec une tradition par trop oubliée »[7] - une utopie devenue, après la guerre, l’un des fers de lance des congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM)[8] et d’artistes tels André Bloc ou Fernand Léger.

Directeur général de l’Enseignement du second degré de 1945 à 1951, Gustave Monod est très attaché à la notion de culture, qu’il associe à « la libération de la pensée, la capacité de jugement personnel, l’exercice de la pensée critique »[9]. L’éducation artistique y tient une place centrale : avant même la parution de l’arrêté du 1%, Monod met à la disposition des établissements relevant de sa responsabilité une collection de cent chefs-d’œuvre de l’art français éditée par la Documentation française. « S’il est vrai que l’art doit être pour l’homme cultivé comme une atmosphère où la respiration est plus aisée et plus vivifiante, il est dès lors au plus haut point souhaitable que la première bouffée, pour ainsi dire, en soit donnée sur les bancs de l’école »[10]. Les lycées érigés après 1945, notamment en Île-de-France, constituent donc des terrains naturels d’expérimentation du 1%.  

A ce titre, deux d’entre eux sont emblématiques par le nombre de projets de décoration exécutés en leurs murs : en grande couronne, le lycée mixte d'Enghien-les-Bains (voir notice IA 95000368) et dans Paris, le lycée Claude Monet[11]. L’ampleur des commandes passées pour ce dernier conduit à la tenue de deux commissions pour sélectionner les artistes, les 3 décembre 1952 et 18 octobre 1956 [12].

Leur unité tient sans doute à la forte implication de l'architecte du lycée, Roger Séassal, dans la conception de ce programme, qu'il présente dès juillet 1952 au Conseil général des Bâtiments de France et en décembre 1952 au secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts, indiquant "que le crédit affecté aux décorations s'élève à 9 millions de francs environ" [13]. Ce dernier approuve à l'unanimité les projets soumis et souligne leur richesse.

Leur exécution fait l'objet de plusieurs arrêtés pris entre 1953 et 1957.

[1] Sous lequel elle fait l’objet de projets de loi présentés par Mario Roustan et Jean Zay, tous deux ministres de l’Education nationale.  

[2] AGUILAR, Yves, Un art de fonctionnaires : le 1%, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 1998, p. 66.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] AN, 19880466/1-3. Ces articles renferment les documents essentiels permettant de retracer l’histoire du 1% artistique.  

[6] Art et architecture, bilan et problèmes du 1% [exposition, Halles centrales de Paris, 29 septembre-31 octobre 1970], Ministère d’Etat des Affaires culturelles, Paris, Centre national d’art contemporain, 1970, p. 9.

[7] AGUILAR, Yves, Un art de fonctionnaires : le 1%, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 1998, p. 67. 

[8] VIALE, Marie-Laure, « Faire œuvre à la croisée des politiques des arts et de l’architecture sous la tutelle de l’Education : les débuts du 1% de décoration », Un art d’Etat : commandes publiques aux artistes plasticiens 1945-1965 [exposition, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, 30 mars – 13 juillet 2017], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 59.

[9] AN, F 17 17502.   

[10] HATTINGUAIS, Edmée, « La décoration des établissements du second degré », dans « Architecture, mobilier et décoration scolaires », L’Education nationale, numéro spécial, mai 1950, p. 44-45.

[11] Bâti comme annexe du lycée de jeunes filles Fénelon à partir de 1947 par l’architecte Roger Séassal, sur l’emplacement de l’usine à gaz désaffectée de l’avenue de Choisy (Paris, 13e).  

[12] AN, 19880466/22.

[13] Idem.

Le programme de décoration au titre du 1% artistique du lycée Claude-Monet, présenté par l'architecte Roger Séassal au Conseil général des Bâtiments de France en juillet 1952 puis soumis au secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts en décembre de la même année, comporte :

- pour l'ornementation de la façade d'entrée située à l'angle des rues Charles Moureu et du docteur Magnan : deux bas-reliefs en pierre sculptés, réalisés par Armand MARTIAL (1884-1960). Grand Prix de Rome en 1913, ce dernier livre ici des compositions fortement empreintes du classicisme de la statuaire antique, qu'il découvre lors de son séjour à la Villa Médicis. Leur sujet n'est pas mentionné dans les archives consultées, mais on peut supposer qu'il s'agit de deux allégories féminines de profil, représentant l'Histoire-géographie (la mappemonde, le feu de la connaissance) et les Lettres (un phylactère avec les noms de grands auteurs antiques et modernes).

- toujours pour l'ornementation de cette façade d'entrée, trois monumentales portes en fer forgé et deux lanternes exécutées par Raymond SUBES (1891-1970). Les portes rappellent celles qu'il dessina en 1934 pour le paquebot Normandie.

- pour le parloir, un grand bas-relief de 16 m2 environ, signé du sculpteur tourangeau Armand-Marcel GAUMONT (1880-1962). Intitulé "Prémices", il témoigne aussi de l'influence de la statuaire antique sur ce Grand Prix de Rome (1908) et pensionnaire de la Villa Médicis.

- dans le parloir a également été retrouvée une tapisserie d'Aubusson, à la bordure bleue caractéristique, tissée à la manufacture Hamot sur un carton du peintre René PERROT (1912-1979). Proche de Jean Lurçat, Perrot participe avec lui au renouveau de cet art mural en travaillant étroitement avec les ateliers de basse-lice de la cité creusoise. L'œuvre accrochée dans le parloir du lycée Monet démontre son intérêt pour la faune et la flore et son œil de naturaliste, formé à la ménagerie du Jardin des Plantes, où il vient régulièrement dessiner. Cette tapisserie révèle aussi sa proximité avec le courant naïf remis à l'honneur dans la tapisserie par Dom Robert. Il s'agirait d'un dépôt du Mobilier national.

- pour le hall d'honneur du lycée, le peintre Jean DUPAS (1882-1964), Grand Prix de Rome en 1910, livre deux toiles marouflées. Leur sujet n'est pas précisé dans les archives de la commande au titre du 1% artistique. Signées et datées de 1954, elles traduisent l'aspiration de cet artiste, qui participa à la décoration de plusieurs paquebots (comme l'Île-de-France - 1924-1927) et à la réalisation du pavillon de la France pour l'Exposition universelle de New York (1939), à concilier dans son travail style classique et moderne. Les deux tableaux du lycée Monet en témoignent parfaitement : connus sous le nom du Jeu de cartes et du Jeu d'échecs, ils évoquent autant le cubisme (dans le traitement anatomique des personnages, les aplats de couleurs géométriques) que les triomphes et les cortèges de Cosme Tura ou de Mantegna - ou encore les Tarots attribués à ce dernier. La simplification des volumes et la construction de l'espace pictural, la composition à la manière d'une frise, rappellent combien Dupas étudia de près, à la Villa Médicis, les primitifs italiens [1] comme Pinturicchio.

- Dans le hall se trouve une statue d'un proche de Jean Dupas à la Villa Médicis, le sculpteur Alfred JANNIOT (1889-1969), Prix de Rome en 1919, qui réalise pour le lycée Monnet une baigneuse à la draperie (titre inconnu).

- En face de celle-ci, de l'autre côté du hall, figure une statue exécutée au titre du 1% par le sculpteur Antoine SARTORIO (1885-1988). Représentant une jeune fille dans un élégant contrapposto, on y retrouve l'influence des grands maîtres que furent pour cette génération de l'entre-deux-guerres Bourdelle et Maillol. L'œuvre s'intitule "le Rythme" et porte sur son socle la phrase de Platon "le rythme est l'ordonnance du mouvement". Elle est signée sur le côté droit du piédestal.

- Pour la galerie du 1er étage (faisant office de préau), le peintre Jean BOUCHAUD (1891-1977) exécute deux toiles marouflées, qui sont mentionnées dans les archives comme "La France" et "l'Economie". "La France" est une allégorie de la Patrie, sous les traits d'une femme allongée à côté d'une botte d'épis de blé, tenant une grappe de raisin. Entourée de monuments français (Montmartre, l'Arc de triomphe, des châteaux de la Loire, la Tour Eiffel...), elle est représentée au milieu d'autres figures féminines inscrites dans la vie contemporaine (des skieuses, des femmes à la plage, une mère allaitant son enfant...). "L'Economie" est un panorama luxuriant des richesses des colonies françaises, où Bouchaud se plaît à mettre en scène tous ses souvenirs de voyages, en Indochine (où il s'était rendu grâce à une bourse du gouvernement de Hanoï en 1924-1925), au Maroc, en Afrique noire, etc.

- Pour la galerie du 2e étage, le peintre Yves BRAYER (1907-1990) convoque dans deux toiles marouflées les paysages familiers de sa Camargue d'adoption, avec une scène de gitanes au milieu des marais et des chevaux sauvages et une femme nue, au bord de la mer.

- Au départ de chaque escalier se trouvent, sur de hauts socles en granito, cinq vases monumentaux (2 m de hauteur environ) aujourd'hui protégés par du plexiglas. Tous n'ont pas été identifiés, mais l'un est certainement du céramiste Jean MAYODON (1893-1967), conseiller artistique de la manufacture de Sèvres, connu pour ses réalisations dans le goût antique : celui à fond bleu clair, avec des putti porteurs de torches et des signes du zodiaque. Un autre vase est probablement signé du céramiste Georges SERRE (1889-1956) : il est en grès moucheté brun, avec des décors "scarifiés" géométriques.

Enfin, il est à noter que le lycée Claude-Monet porte le nom du célèbre peintre impressionniste et que pour remercier l'établissement d'avoir choisi ce patronyme, la famille de l'artiste lui fit don d'un tableau de Monet, Nymphéas avec rameaux de saule (1916), conservé dans le bureau du proviseur. Un tableau de la belle-fille de Monet, Blanche Hoschedé, Les Pins maritimes (1928) se trouve aussi dans les murs.

[1] LECHLEITER, France, "Autour de Jean Dupas : le renouveau classique à la Villa Médicis dans les années 1920", Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 2009, 131-3, p. 217-236.

  • État de conservation

Annexes

  • SOURCES
Date(s) d'enquête : 2016; Date(s) de rédaction : 2022
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel
Philippe Emmanuelle
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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Édifice
Lycée Claude-Monet

Lycée Claude-Monet

Commune : Paris 13e arrondissement
Lieu-dit : Adresse : 1 rue du docteur Magnan