Dossier d’œuvre objet IM91001471 | Réalisé par
Philippe Emmanuelle (Rédacteur)
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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  • enquête thématique régionale, Architectures du sport en Ile-de-France
La Dame du Lac
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France
  • Commune Évry
  • Lieu-dit Parc du Lac
  • Adresse allée de la Petite Reine , avenue de la Garenne
  • Cadastre 2020 AL 0017
  • Dénominations
    sculpture
  • Titres
    • La Dame du Lac

La Dame du Lac, à la fois œuvre d'art monumentale et mur d'escalade, est depuis plus de quarante ans l'un des "monuments" régulièrement mis en avant comme signe distinctif du territoire et constitutif de l'identité de la ville nouvelle d'Evry-Courcouronnes.

A la fin des années 1950, la situation de la région parisienne était préoccupante. Une croissance démographique accélérée la dotait de 150 000 habitants supplémentaires chaque année. Son parc de logements était vétuste, inadapté et surpeuplé. Paris concentrait l'essentiel de la vie économique et notamment les emplois de bureaux et la totalité des grands services et équipements de niveau régional. La banlieue, qui comptait 5, 7 millions d'habitants, était sous-équipée et dépendante de la capitale. Le réseau des transports n'avait pas suivi la multiplication des déplacements quotidiens, le métro s'arrêtait aux portes de Paris et il n'existait que 29 km de voies rapides (autoroutes du Sud et de l'Ouest). La structure administrative s'avérait enfin désuète puisque deux départements (la Seine et la Seine-et-Oise) rassemblaient les 9/10e de la population francilienne. La création du District de la région de Paris (1961) , structure de coordination et d'aménagement, la nomination à sa tête de Paul Delouvrier comme délégué régional et l'élaboration par l'IAURP (Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Parisienne) d'un schéma directeur (1965) furent les points de départ d'une ambitieuse politique d'aménagement. L'une des réponses apportées à cette croissance inéluctable de la région parisienne par ce schéma directeur fut le projet de création de villes nouvelles, qui devaient constituer de vrais centres urbains et pôles d'activités, en réaction aux grands ensembles des années 1950, dans lesquels seule la fonction résidentielle avait été prise en compte [1].

L'une des cinq villes nouvelles destinées à naître autour de Paris devait s'implanter sur le territoire d'Evry et des trois communes voisines de Bondoufle, Lisses et Courcouronnes. Le 1er janvier 1968, la Seine-et-Oise disparaît officiellement au profit de trois nouveaux départements, dont l'Essonne. Alors que le choix de Corbeil-Essonnes comme ville-préfecture aurait pu sembler logique, c'est finalement Evry-Petit Bourg (6000 habitants) qui est choisie comme chef-lieu du département. La construction du premier bâtiment de la ville nouvelle, la préfecture, est confiée à l'architecte Guy Lagneau [2]. inaugurée en 1971, elle s'élève au milieu des champs de betteraves, en même temps que sort de terre le premier quartier d'habitation du Parc aux Lièvres. En avril 1969 est instauré l'EPEVRY (Etablissement Public d'Aménagement de la ville d'Evry), chargé d'acquérir des terrains, de les viabiliser, de les revendre avec droit de construire à des promoteurs ou des industriels, ou à l'inverse de constituer des réserves foncières.

La ville nouvelle d'Evry se construit principalement sur le plateau d'Evry-Courcouronnes, situé à 45m au-dessus du niveau de la Seine. La forte densité urbaine prévue entre le fleuve et l'autoroute A6 va imperméabiliser le sol à environ 75% de sa surface [3] et l'eau de pluie, dite de ruissellement, représentera des dizaine de milliers de mètres carrés en cas de violent orage. Pour prévenir les inondations, des bassins de régulation sont ainsi projetés afin qu'elle s'écoule plus lentement vers la Seine. L'aménagement du lac de Courcouronnes répond à cette problématique. Comme l'ensemble des espaces verts de la ville nouvelle d'Evry, sa conception résulte du travail du paysagiste Michel Choquet, qui entreprend la réalisation du Parc du Lac, d'une superficie de 22 hectares, en 1970, avec, dans sa partie est, un plan d'eau de 7 hectares, où peuvent se développer des activités ludiques, sportives ou culturelles. Un ponton avec embarcadère permet d'y mettre à l'eau des bateaux à rames ou des optimistes pour l'initiation à la voile.

c'est dans ce contexte que le sculpteur Pierre Székely (1923-2001), d'origine hongroise, réalise une œuvre monumentale, érigée en 1975 au bord du lac de Courcouronnes, qui constitue vraisemblablement - avec le Déambulatoire de Gérard Singer, conçu en 1976 pour le quartier des Pyramides - la première œuvre d'art public de la ville nouvelle d'Evry.

La Dame du Lac résulte d'une commande passée par le secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, Pierre Mazeaud, dans le cadre de la procédure du 1% artistique, à Székely. L'objectif est de faire écho aux rochers de la forêt de Fontainebleau et aux gros blocs de grès de Fontainebleau extraits sur place lors de l'aménagement du parc, mais aussi d'offrir aux habitants de la ville nouvelle un mur d'escalade.

Pour comprendre sa genèse, il faut se rapporter au témoignage de Michel Mottez, architecte-urbaniste à l'EPEVRY entre 1963 et 1993 : " En procédant à l’excavation du lac de Courcouronnes (bassin de retenue d’eaux pluviales) un nombre impressionnant d’énormes roches, dont nous ne savions que faire, ont été extraites. Fontainebleau et ses rochers n’étaient pas loin et nous avons émis l’hypothèse qu’en les empilant judicieusement, on pouvait créer un site d’escalade. Nous avons pensé qu’en faisant appel à un sculpteur, on pouvait faire œuvre d’art au milieu d’un site singulier ; nous sommes allés voir un sculpteur qui habitait l’Essonne et qui était connu par son travail au chalumeau dans des blocs de granit. Székely, grand charmeur, comme beaucoup d’artistes, nous a séduits. Il nous a dit qu’il ne pouvait travailler les pierres concernées au chalumeau mais que concevoir un lieu d’escalade l’intéressait. Notre directeur adjoint, jeune inspecteur des finances, pratiquait l’alpinisme de haut niveau et était très ami avec un conseiller au Ministère de la jeunesse et des sports qui s’était singularisé dans une expédition de l’Annapurna. Ce dernier s’intéressera très rapidement à ce site potentiel pour initier les jeunes à l’escalade. C’est ainsi que l’amas de cailloux, sans utilité, fut enfoui dans le relief artificiel des franges du lac et que fut conçue une sculpture en béton brut sous l’autorité technique de l’alpiniste [Guido Magnone] qui ordonna prises et couloirs. Ce sera je crois le premier mur d’escalade réalisé en France. Le sculpteur Szekely était connu du Ministère de la Culture qui participa au financement. Le Ministère de la jeunesse et des sports fera de même et notre inspecteur finances en charge du budget de l’Epevry saura dégager le solde nécessaire. Le maire de Courcouronnes [Michel Boscher] créera l’association sportive pour en maitriser l’usage". [4]

La Dame du Lac a donc été le fruit d'une triple rencontre entre le sculpteur Pierre Székely, dont l'atelier se situait à Marcoussis (91), "qui interrogeait dans sa pratique la façon dont les hommes "habitent" les œuvres et conduisait volontiers des projets collaboratifs" [5], l'alpiniste italien Guido Magnone (1917-2012), l'un des fondateurs de l'UCPA (Union des Centres sportifs de Plein Air), défenseur de l'éducation sportive et l'ingénieur Bernard Metzlé, qui mit au point la structure de la sculpture haute de 17, 75m. Les dix voies d'ascension et les près de 300 prises que compte cette sculpture ont été tracées par Guido Magnone. A son achèvement, Pierre Székely déclara : "Explorateurs à mains nues de ma sculpture, la Dame du Lac vous accueillera, pas de défense de toucher, mais, tenez-vous bien pour l’amour !" [6].

Dès sa création, l'œuvre-mur d'escalade rencontre un vif succès. Elle témoigne parfaitement de l'ambition de synthèse des arts qui anime Pierre Székely dès le début des années 1950, et qui sera qualifiée d'"architecture-sculpture" par le critique Michel Ragon en 1963. Székely conçoit à la même époque d'autres œuvres à la rencontre de ces deux disciplines, comme le village de loisirs de Beig Meil (Fouesnant - Finistère) (1964-1968) (avec l'architecte Henri Mouette) ou la chapelle du Carmel de Saint-Saulve (Nord) (1963-1966) (avec l'architecte Claude Guislain).

Pendant plusieurs années, un club d’escalade anime le lieu, mais il ferme en 1995 pour raisons de sécurité. C’est pourtant à cette époque qu’il devient le site-phare d’une nouvelle discipline sportive : le ParKour qui consiste à franchir successivement divers obstacles urbains ou naturels, par des mouvements agiles et rapides et sans l'aide de matériel, par exemple par la course, des sauts, des gestes d’escalade, des déplacements en équilibre, etc. - le pratiquant étant dénommé "traceur".

En 2015, pour son 40ème anniversaire, La Dame du Lac a rouvert le temps d’une cérémonie, au cours de laquelle une plaque commémorative en bronze a été scellée au bas de la sculpture. Elle est aujourd'hui définitivement interdite au public.

[1] "Villes nouvelles : de l'inéluctable au volontarisme bien tempéré, éléments d'un bilan", Cahiers de l'Institut d'Aménagement et d'urbanisme (IAU) de la Région Île-de-France, 1989, n° 87-88, p. 14-22.

[2] JACOB, Delphine. "Pierre Guariche, architecte d'intérieur : la préfecture de l'Essonne ou la modernisation d'une institution de la Ve République", In Situ (en ligne), 34, 2018.

[3] PLANQUETTE, Dominique. "Evry, ville nouvelle, le manteau végétal, la création", Association Mémoires et avenir de la ville nouvelle d'Evry, Document mémoire n° 15, avril 2014 (en ligne).

[4] MOTTEZ, Michel. "La Dame du Lac et un rhinocéros", Préfigurations, n° 59, octobre 2011 (en ligne).

[5] LACOUR, Virginie, GONDARD, Aurélie, LE SAUX, Eve, dossier de candidature au label "patrimoine d'intérêt régional" de la Dame du Lac d'Evry-Courcouronnes, Agglomération de Grand Paris Sud Essonne, 2018.

[6] Idem.

La Dame du Lac s'élève au sein d'un lieu volontairement conçu et protégé comme un espace de respiration et de loisirs : le Parc du Lac. Fait de prairies et de collines basses aménagées autour d'un lac artificiel servant de retenue des eaux pluviales, c'est un site de promenade pour les habitants de la ville nouvelle d'Evry et un asile pour les oiseaux. Une réserve ornithologique spontanée s'y constitue peu à peu. Bordé de maisons individuelles, le Parc du Lac est une enclave de nature, pourtant à peu de distance des quartiers denses de Courcouronnes ou des grandes voies de circulation (A6 et N104). La silhouette caractéristique de cette œuvre monumentale, haute de 17,75 m, surplombe les berges [1].

Tout à la fois "mur d'escalade, signe plastique, "rocher" artificiel et "stade vertical" permettant l'exploration de l'espace par le corps à corps avec la sculpture" [2], La Dame du Lac est une voile triangulaire en béton coulé entre deux grillages en acier, distants de 20 cm et tenus par une armature intérieure. Elle est couverte d'un revêtement de béton gris clair, projeté de haut en bas au canon. A sa base, en oblique et au ras de l'herbe, deux cadres sculptés dans la masse du béton portent le nom du monument et celui du sculpteur. L’œuvre est également un « rocher » d’escalade conçu pour être accessible à toute personne de 1 m 60 ou plus. Dix voies sont aménagées comportant : prises,  ressauts, surplombs, abris, rampes, plateformes… autant d’accidents qui lui confèrent une physionomie expressive et mystérieuse. Sa paroi sud présente une série de reliefs s'apparentant à des pommes de pin, une cheminée et des bivouacs. Côté nord, elle ressemble à une voile gonflée par le vent. La partie supérieure est surmontée d'une plateforme, point d'arrivée ultime des grimpeurs. Les itinéraires (du facile au très difficile) possèdent des variantes permettant de travailler l'équilibre, manier les cordes et acquérir des techniques d'assurance en cordée. Des trous sont prévus pour la fixation d'anneaux et de prises.

A l'origine, la sculpture était polychrome : "le rouge, l'orangé, le violet [étaient] imprégnés par des teintes vinyliques dans l'épiderme du béton projeté". [3]

[1] LACOUR, Virginie, GONDARD, Aurélie, LE SAUX, Eve, dossier de candidature au label "patrimoine d'intérêt régional" de la Dame du Lac d'Evry-Courcouronnes, Agglomération de Grand Paris Sud Essonne, 2018.

[2] Notice descriptive de la sculpture La Dame du Lac, archives de l'EPEVRY, s.d. (1975 ?), communiquée par l'Agglomération de Grand Paris Sud Essonne.

[3] Idem.

  • Catégories
    sculpture
  • Structures
  • Matériaux
    • acier
    • béton
  • Mesures
    • h : 17,75
  • Statut de la propriété
    propriété publique, Propriété de l'Agglomération de Grand Paris Sud Essonne.
  • Intérêt de l'œuvre
    À signaler
  • Précisions sur la protection

    Cette sculpture-mur d'escalade a été labellisée "patrimoine d'intérêt régional" par le Conseil régional d'Île-de-France en commission permanente du 19 septembre 2019.

Date(s) d'enquête : 2022; Date(s) de rédaction : 2022
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel
Philippe Emmanuelle
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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