Dossier d’œuvre architecture IA75001068 | Réalisé par
Philippe Emmanuelle (Rédacteur)
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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Mercier Marianne (Rédacteur)
Mercier Marianne

Chargée du recensement et de la protection au titre des Monuments historiques

Correspondante du label "Architecture contemporaine remarquable"

Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Ile-de-France

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  • enquête thématique régionale
Lycée Henri-Bergson
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Stéphane Asseline, Région Ile-de-France

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France
  • Commune Paris 19e arrondissement
  • Adresse 27 rue Pailleron
  • Cadastre 2020 ES 15
  • Dénominations
    lycée
  • Parties constituantes non étudiées
    cour, cantine, préau

Le lycée Henri-Bergson : la mixité en marche

HISTORIQUE ET PROGRAMME : LE PREMIER LYCEE DE PARIS A REALISER LA MIXITE AU CŒUR DE SES BÂTIMENTS  

1/ Le contexte : renouveler l’architecture scolaire à Paris, au cœur des années 1960

« Le vieil édifice scolaire familier aux Français qui ont aujourd’hui l’âge d’homme cède de toutes parts sous l’afflux des jeunes.

Le nouvel édifice scolaire adapté à l’enseignement des masses est encore en chantier.

Enseignement du second degré pour tous ? Tel est bien l’objectif officiellement admis. Mais quel enseignement du second degré ? Comment l’étendre sans le dégrader ? A l’intérieur de ce cadre, quelles orientations prévoir ? Et dans quel délai […] ? Tout doit être repensé, sans qu’entre-temps on puisse refuser les nouveaux élèves, s’interrompre de construire, cesser d’enseigner »[1].

En 1965, alors que s’achève peu à peu la construction du lycée Edouard Pailleron dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, ce constat en demi-teinte dressé par l’historien Jean-Louis Crémieux Brilhac montre que le Ministère de l’Education nationale se trouve au milieu du gué. Confronté aux destructions de l’après-guerre et à la vétusté préoccupante de certains de ses bâtiments[2], il doit surtout faire face à une véritable « explosion scolaire »[3], provoquée par une croissance démographique soutenue, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans[4] et le besoin d’une main-d’œuvre plus instruite. Ces nouveaux paramètres doivent le conduire, selon les prévisions, à accueillir dans l’enseignement du second degré 3 200 000 élèves en 1969 - soit vingt-quatre fois plus qu’au début du siècle et 700 000 supplémentaires en l’espace de quatre ans[5].

Pour répondre à ce défi sans précédent, l’heure est plus que jamais au respect de normes strictes : la trame d’1, 75 m de côté, instaurée en 1952, l’industrialisation des processus de construction des lycées neufs pour faire baisser les coûts et l’encadrement de leurs projets pédagogiques et architecturaux par la puissante DESUS (Direction des Equipements Scolaires, Universitaires et Sportifs), créée en 1956 au sein du Ministère. Tout en suivant la même procédure « bureaucratique et financière », souvent « interminable » et « paralysante »[6], la réalisation des commandes s’opère par niveau scolaire et par académie.

A Paris, ces dernières prennent une tournure singulière. Les effectifs attendus dans les lycées y sont en effet sans commune proportion avec ceux de la petite et de la grande couronne francilienne - et naturellement avec ceux du reste du pays.

Les lycées parisiens doivent aussi recevoir des élèves ne résidant pas dans la capitale : « les établissements scolaires de Paris sont surchargés mais ceux de la grande périphérie généralement le sont moins, car les « liaisons latérales » entre communes, par les transports en commun, sont moins pratiques que les « liaisons axiales ». La plupart des parents, travaillant intra-muros, préfèrent amener avec eux le matin leurs enfants dans un lycée parisien et les reprendre, le soir, à la sortie du bureau ou de l’atelier »[7]. De surcroît, par son statut administratif particulier et l’histoire de son Académie, Paris constitue une enclave territoriale à part. La ville n’est pas dotée d’une municipalité au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais gérée directement par le préfet de la Seine et jusqu’en 1920, le recteur de l’Académie de Paris n’est autre que le ministre de l’Instruction Publique en personne. Cette situation inédite transforme, de fait, la capitale en un vaste « champ de manœuvre direct de tous les grands désirs constructeurs de l’Etat »[8].

Plus qu’ailleurs, les pesanteurs du centralisme s’y font donc sentir et loin des expérimentations menées en banlieue par Eugène Beaudouin (lycée d’Antony-Parc de Tourvoie, 1961) et Marcel Lods (lycée d’Ivry, 1963), les chantiers scolaires y sont monopolisés par d’ex-grands prix issus de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, devenus architectes en chef des Bâtiments civils et des Palais nationaux. En dépit de l’objectif fixé par la DESUS – que le lycée terminé, même standardisé, « présente chaque fois une personnalité propre »[9] - leur travail se borne la plupart du temps à agencer des modules et des plans-types, dont les uniques variables d’ajustement consistent à rajouter des travées ou des escaliers.

Dans cette production sérielle, certains maîtres d’œuvres réussissent toutefois à se démarquer par la qualité de leur dessin et le soin accordé aux matériaux, à l’image de Jacques Carlu (1890-1976), auteur du lycée de la rue Edouard Pailleron, rebaptisé Henri Bergson en 1967.

2/ Une annexe mixte du lycée Turgot…

Sur les neuf lycées d’enseignement général érigés à Paris entre 1950 et 1983[10], huit le sont en tant qu’annexes de lycées déjà existants, mais ils obtiennent rapidement leur indépendance administrative, « qui leur permet de s’inscrire de façon identitaire »[11] dans les quartiers qui sortent de terre.

Cinq d’entre eux sont mis en chantier avec une nouveauté pédagogique peu à peu imposée et officiellement décrétée par une circulaire ministérielle en 1957 : la mixité[12].

L’établissement, projeté dès 1954[13] par l’Education nationale dans le 19e arrondissement, ne fait pas exception à ces deux règles :  il s’agit, à l’origine, d’une annexe du lycée de jeunes filles Turgot (3e arrondissement), dite de « la porte Chaumont » - en raison de sa proximité avec cet ouvrage faisant partie de l’enceinte de Thiers - destinée à être mixte. Elle est commandée à l’architecte Jacques Carlu, « un homme de l’art aux réalisations internationales »[14].  

3/…commandée à l’architecte Jacques Carlu

Jacques Carlu naît à Bonnières-sur-Seine en 1890. Son père, agent-voyer de son état, s’installe à Saint-Germain-en-Laye. C’est dans cette ville, où il fréquente souvent l’atelier du peintre Maurice Denis, que Carlu effectue en 1906 un stage chez l’architecte Henri Choret. Admis en 1909 à l’Ecole des Beaux-Arts, il y poursuit « une formation académique et cosmopolite »[15], car il cherche très rapidement à exercer ses talents à l’étranger. En plus des traditionnels voyages en Italie et en Grèce, il effectue en 1914 un premier séjour aux Etats-Unis, au sein de l’agence Palmer et Hornbostel de Pittsburgh. Au cours de sa carrière, il retournera plusieurs fois en Amérique, où il s’ouvrira « à des expressions mesurées de la modernité architecturale »[16], tout en continuant à accéder aux grandes commandes réservées aux Premiers Grands Prix de Rome. Après avoir étudié dans l’atelier de l’architecte Victor Laloux, chez lequel il développe un goût certain pour l’héritage néobaroque, Jacques Carlu remporte ce prestigieux concours en 1919 avec un projet de « palais pour la Ligue des Nations à Genève ».

Le lobby franco-américain des anciens élèves de Victor Laloux lui permet d’obtenir le poste convoité de Professor of Advanced Design dans la plus ancienne école d’architecture des Etats-Unis, le Massachussets Institute of Technology, près de Boston. En 1924, il s’établit à New York, où il acquiert une solide réputation de décorateur, en particulier pour ses aménagements intérieurs de grands magasins dans le style paquebot[17]. A la fin de l’année scolaire 1932-1933, dépité par l’abandon progressif des méthodes académiques françaises au profit de nouvelles pédagogies inspirées par celles du Bauhaus, il décide de quitter sa charge de professeur et de rentrer en France.

En 1934, il est nommé architecte en chef de la Chapelle expiatoire (Paris, 8e arrondissement) et membre du Conseil des Bâtiments civils et des Palais nationaux. De 1935 à 1939, son travail sur le chantier du Trocadéro - visant à transformer le bâtiment hispano-mauresque de Gabriel Davioud en « palais de Chaillot », en collaboration avec Louis-Hippolyte Boileau et Léon Azéma – assoit sa notoriété mais en 1940, pour protéger sa femme, de confession israélite, il embarque à nouveau pour les Etats-Unis. De retour en France à la Libération, il retrouve son titre d’architecte en chef du Palais de Chaillot, qu’il n’abandonnera qu’en 1963. Au service des grandes organisations internationales, il est l’auteur des travaux de transformation et d’agrandissement du Palais des Nations à Genève (dès 1950), ainsi que du siège parisien de l’OTAN (1955-1959, actuelle université Paris IX-Dauphine).

Avec les collaborateurs de son agence, Jacques Carlu s’attelle à de nombreux projets de bâtiments publics. Ses premières incursions dans le domaine de l’architecture scolaire semblent dater de l’année 1954, au cours de laquelle il est engagé par l’Etat pour la construction du lycée mixte de Libourne (conçu pour 1300 élèves)[18] et remet au Conseil général des Bâtiments de France pas moins de sept esquisses pour l’implantation du lycée de la rue Edouard Pailleron. Par la suite, il réalisera le lycée Jean Jaurès de Montreuil (annexe du lycée Voltaire, 1959-1964) et pour l’enseignement supérieur, la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris-Censier et l’Ecole nationale des Arts et Métiers de Talence (1965).

 4/ Un projet très contraint, plusieurs fois remodelé

Tout comme à Libourne, Jacques Carlu doit, rue Edouard Pailleron, pour bâtir le lycée commandé par le Ministère de l’Education nationale, tirer parti d’un terrain exigu et ingrat.

Il s’agit, historiquement, d’une ancienne portion de la voierie de Montfaucon, située au pied de la Butte-Chaumont. Dès la fin du XVIIIe siècle, cette vaste décharge à ciel ouvert constitue l’unique dépotoir du contenu de toutes les fosses d’aisance de Paris – avant que les excréments ne soient transformés en engrais agricoles – ainsi qu’un clos d’équarrissage où sont abattus des chevaux âgés, blessés, malades ou hors d’état de servir[19]. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que l’endroit est assaini puis progressivement urbanisé, grâce au percement de voies. La rue Edouard Pailleron est ouverte en 1899 puis conquise par de grands équipements, tels qu’une école professionnelle de la Ville de Paris, devenue le collège et centre d’apprentissage Jacquard et une piscine, bâtie par l’architecte-ingénieur Lucien Pollet en 1934[20], sur le modèle de celle de l’avenue de la Porte-Molitor.

Dès le début des années 1950, le Ministère de l’Education nationale acquiert une parcelle sise entre les rues Edouard Pailleron et Armand Carrel, juste en face de la piscine. Mais dès les premières esquisses, établies par Jacques Carlu à la demande de la préfecture de la Seine et présentées au Conseil général des Bâtiments de France en novembre 1954[21], il apparaît nécessaire de poursuivre la procédure d’expropriation d’autres terrains car la surface à bâtir est bien trop réduite pour un lycée de grande capacité. Et ce d’autant que la préfecture envisage, dans ce secteur déjà doté d’une école maternelle et primaire (rue Armand Carrel) et du collège et centre d’apprentissage Jacquard, de créer un pôle scolaire aux services communs mutualisés[22] (centre médico-social, restauration, équipements sportifs), une fois le nouveau lycée érigé, ainsi qu’un collège mitoyen[23].

Destiné à recevoir 1500 élèves (900 externes et 600 demi-pensionnaires) sur une surface au sol estimée à près de 15 000 m2, le lycée voit son programme remodelé à plusieurs reprises et c’est à la faveur d’une circonstance inespérée que ce dernier est enfin stabilisé : l’acquisition en avril 1959 de deux parcelles supplémentaires donnant sur la rue Armand Carrel, initialement expropriées au profit de l’Office public d’HLM de la Ville de Paris pour la construction d’un grand ensemble de logements[24].

Grâce à cet achat, le Ministère de l’Education nationale dispose d’une surface d’un peu plus de 20 000 m2 à consacrer au projet et réévalue donc la capacité d’accueil de l’établissement à 2800 élèves[25] - ce qui le consacre alors comme l’un des plus vastes lycées de la capitale, avec le lycée Honoré de Balzac (qui ira jusqu’à recevoir 3400 élèves) et le lycée François Villon (construit à la porte de Vanves par Germain Grange pour 3000 élèves[26]).

Outre ces atermoiements liés à l’affinement du projet, Jacques Carlu doit prendre en compte deux contraintes, qui lui laissent peu de latitudes : la nature des sols et la forte déclivité du terrain. Ce dernier est « présumé médiocre par suite d’anciennes carrières souterraines »[27] et un dénivelé de plus de douze mètres sépare sa portion donnant sur la rue Edouard Pailleron de celle ouvrant sur la rue Armand Carrel, en contrebas.

[1] CREMIEUX-BRILHAC, Jean-Louis (dir.), L’Education nationale, le Ministère, l’Administration centrale, les Services, Paris, Presses Universitaires de France, 1965, p. 65.

[2] En 1951, Marcel Peschard, inspecteur général de l’Instruction public, établit un bilan alarmant de la situation de l’Enseignement du Second Degré du point de vue de ses installations matérielles : aux 65 établissements déjà condamnés en 1939 pour leur vétusté et leur insalubrité, viennent s’ajouter 44 autres à reconstruire en partie ou en totalité, 120 profondément endommagés jusque dans leur gros œuvre et plus de 400 pillés à des degrés divers et réclamant une restauration intérieure. A ce sujet, voir : PESCHARD, Marcel, « Les Etablissements de l’Enseignement du Second degré », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 34, février-mars 1951, pp. 6-10.

[3] CROS, Louis, L’explosion scolaire, Paris, Comité universitaire d’information pédagogique, 1961.

[4] Résultant de l’ordonnance prise le 6 janvier 1959 par Jean Berthoin, le ministre de l’Education nationale.

[5] CREMIEUX-BRILHAC, Jean-Louis (dir.), L’Education nationale, le Ministère, l’Administration centrale, les Services, Paris, Presses Universitaires de France, 1965, p. 68.

[6] PROST, Antoine, « Jalons pour une histoire de la construction des lycées et collèges de 1960 à 1985 », Lycées, Lycéens, lycéennes, deux siècles d’histoire, Paris, Institut national de la recherche pédagogique, 2005, p. 463.

[7] HUMBLEY, Francis, « Que ferez-vous de votre enfant ? », 1959, article reporté dans l'ouvrage Racontez-moi Paul-Valéry, Histoires et mémoire de la communauté scolaire, Paris, 2001, p. 14.

[8] VAYSSIERE, Bruno, « Sous l’empire des trames », Paris à l’école, « qui a eu cette idée folle… », sous la dir. d’Anne-Marie Châtelet, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, Picard éditeur, 1993., p. 204.

[9] PROST, Antoine, « Jalons pour une histoire de la construction des lycées et collèges de 1960 à 1985 », Lycées, Lycéens, lycéennes, deux siècles d’histoire, Paris, Institut national de la recherche pédagogique, 2005, p. 461.

[10] Et faisant l’objet du mémoire de recherche en Master 2 Histoire de l’Architecture d’Anaïs CARRE : Renouveler l’architecture scolaire : l’exemple des lycées parisiens construits entre 1950 et 1983, sous la dir. d’Eléonore MARANTZ-JAEN, Paris, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2015-2016, 2 vol.

[11] CARRE, Anaïs, Renouveler l’architecture scolaire : l’exemple des lycées parisiens construits entre 1950 et 1983, Mémoire de recherche en Master 2 Histoire de l’Architecture, sous la dir. d’Eléonore MARANTZ-JAEN, Paris, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2015-2016, vol. 1, p. 25.

[12] BANTIGNY, Ludivine, « De la modernité dans le lycée des années 1950 », Lycées, Lycéens, lycéennes, deux siècles d’histoire, Paris, Institut national de la recherche pédagogique, 2005, p. 274.

[13] Archives nationales, 1994 0591/14, Conseil général des Bâtiments de France, section spéciale des bâtiments d’enseignement, procès-verbal de la séance du 4 novembre 1954, relative à la construction d’un lycée mixte rue Edouard Pailleron (19e arrondissement).

[14] CARRE, Anaïs, Renouveler l’architecture scolaire : l’exemple des lycées parisiens construits entre 1950 et 1983, Mémoire de recherche en Master 2 Histoire de l’Architecture, sous la dir. d’Eléonore MARANTZ-JAEN, Paris, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2015-2016, vol. 1, p. 44.

[15] GOURNAY, Isabelle, Notice biographique de Jacques Carlu, Archives d’architecture du XXe siècle, Paris, Institut français d’Architecture, Liège, Mardaga, 1991, [en ligne], consulté le 23 mai 2020. URL : https://archiwebture.citedelarchitecture.fr/pdf/asso/FRAPN02_CARJA_BIO.pdf

[16] Ibid.

[17] Grand magasin Eaton à Montréal (1930-1931).  

[18] CHARNEAU, Bertrand, « Le lycée Max Linder à Libourne : un monument historique », dans Les lycées : un patrimoine à découvrir, numéro spécial de la revue Arcades, créations culturelles et patrimoines en Nouvelle-Aquitaine, septembre 2019, pp. 60-63.

[19] HILLAIRET, Jacques, Connaissance du Vieux Paris : tome 3, Les villages, Paris, Editions Princesse, 1956, p. 180.

[20] Cette piscine Pailleron est inscrite au titre des Monuments Historiques depuis 1998. A ce sujet, voir la notice PA75190002 de la base Mérimée, [en ligne], consultée le 23 mai 2020. URL : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA75190002

[21] Archives nationales, 1994 0591/14, Conseil général des Bâtiments de France, section spéciale des bâtiments d’enseignement, procès-verbal de la séance du 4 novembre 1954, relative à la construction d’un lycée mixte rue Edouard Pailleron (19e arrondissement). 

[22] Archives nationales, 1994 0591/14, Equipements scolaires, sanitaires et sportifs de l’îlot Edouard Pailleron, Bouret, Armand Carrel, Cavendish, compte-rendu de la réunion du 7 novembre 1958 tenue à la Direction de l’Urbanisme de la Préfecture de la Seine.

[23] Il s’agira du fameux CES Pailleron, terminé en 1967 et ravagé par un incendie le 6 février 1973, qui fera vingt morts, dont seize enfants et provoquera une émotion nationale.

[24] Archives nationales, 1994 0591/14, Conseil général des Bâtiments de France, section spéciale des bâtiments d’enseignement, séance du 7 avril 1959, rapport fait au Conseil par M. Poirier, architecte du Service Technique au sujet de l’acquisition de deux terrains rue Armand Carrel pour la construction du lycée mixte de la rue Edouard Pailleron.

[25] CARRE, Anaïs, Renouveler l’architecture scolaire : l’exemple des lycées parisiens construits entre 1950 et 1983, Mémoire de recherche en Master 2 Histoire de l’Architecture, sous la dir. d’Eléonore MARANTZ-JAEN, Paris, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2015-2016, vol. 2, p. 71.

[26] Actuel lycée François Villon, avenue Marc Sangnier, dans le 14e arrondissement de Paris, daté de 1955-1975.

[27] En plus des vestiges de la Grande Voierie, se trouvaient aussi dans le quartier ceux de vastes carrières de gypse (les carrières dites « d’Amérique ») dont on extrayait au XIXe siècle le plâtre et la chaux nécessaires à la construction des maisons de Paris.

DESCRIPTION

1/ Un plan en croix et un externat mixte épousant la pente

Carlu y répond par plusieurs stratagèmes : au lieu de disséminer, sur des sous-sols fragilisés, de multiples pavillons impliquant autant de solides fondations, les surfaces nécessaires au nombre d’élèves attendus sont prises sur toute la hauteur d’un bâtiment principal à sept niveaux, qui épouse la pente et regroupe l’ensemble des fonctions d’enseignement.

Deux blocs perpendiculaires annexes, implantés au sommet de la dénivellation (soit le long de la rue Edouard Pailleron) forment avec cet externat un « solide et clair » plan en croix[1].

Abritant, à l’ouest, un gymnase et à l’est, l’administration et des logements, ils sont reliés au corps principal par deux ailes basses qui convergent vers le vestibule et le hall d’entrée de l’établissement.

Le réfectoire et les cuisines sont rejetés dans un bâtiment d’un étage en retour, édifié à l’extrémité nord-ouest du bâtiment d’enseignement.

Ce plan-masse, approuvé le 3 mai 1960 par le Conseil général des Bâtiments de France[2], constitue la véritable signature de l’architecte Jacques Carlu. Dans le contexte parisien de l’époque, il est une réelle nouveauté puisque la mixité y est pour la première fois introduite au cœur même des bâtiments. Dans les lycées contemporains Honoré de Balzac (17e) et François Villon (14e), subsiste en effet une nette distinction entre une aile réservée aux filles et une autre aux garçons, délimitant chacune une cour dédiée à la détente et aux activités sportives de l’un ou l’autre sexe. C’est une formule que Jacques Carlu reprendra d’ailleurs pour l’annexe du lycée Voltaire, qu’il édifiera quelque temps plus tard à Montreuil-sous-Bois (1959-1964). Ici, au contraire, ce sont les ailes latérales qui regroupent les services communs, tandis que le bâtiment principal reçoit indistinctement filles et garçons, dont les salles respectives ne sont plus distinguées que par leur niveau.

2/ Une ingénieuse disposition intérieure, limitant les déplacements des élèves

Dans l’étage de soubassement, de plain-pied avec la rue Armand Carrel, sont ainsi implantés les locaux d’enseignement ménager, la chaufferie, les réserves des cuisines et l’accès, au nord-est, à la cour de récréation des filles et aux plateaux d’évolution sportifs.  

Le rez-de-chaussée accueille les classes d’enseignement général des filles et dans la petite extension formant un retour vers le nord-ouest, les réfectoires. La cour du côté occidental est réservée aux garçons.

Au premier étage se déploient des salles d’enseignement général mixte et le second niveau des réfectoires.

Le second étage est composé des classes d’enseignement général pour les garçons. C’est à ce niveau, au point le plus haut du terrain, que s’ouvre l’entrée principale du lycée, qui donne sur l’avenue Edouard Pailleron, avec ses cinq portes battantes surmontées d’un auvent. Du hall partent les deux « bretelles » sur pilotis conduisant, à droite (est), au bâtiment de l’administration, de l’infirmerie et des logements et à gauche (ouest) au gymnase, lui-même sur deux niveaux (l’inférieur pour les garçons, le supérieur destiné aux filles).

Au troisième étage : les classes spécialisées mixtes de sciences naturelles, d’histoire et de géographie et les laboratoires de langues.

Au quatrième : les classes spécialisées mixtes de physique et de chimie.

Et enfin au cinquième étage, une spécificité : trois salles d’éducation physique avec leurs parquets en bois et leurs vestiaires au demi-niveau.

Grâce à cette disposition, les circulations des élèves sont limitées. En effet, les salles les plus fréquentées occupent les niveaux inférieurs du bâtiment principal, tandis que celles moins usitées (les blocs scientifiques et les salles d’éducation physique), appelées à susciter des mouvements de moindre ampleur, sont situées aux niveaux les plus élevés. Ainsi les flux sont-ils ingénieusement régulés[3], évitant aux lycéens de gravir un trop grand nombre de marches aux interclasses.

3/ Une architecture sobre et efficace

La première tranche de l’établissement (correspondant à l’édification du bâtiment principal ainsi que du réfectoire et des cuisines) est livrée en 1962. Il ouvre officiellement ses portes comme premier lycée mixte de Paris à la rentrée 1963. En avril 1966 sont engagées la seconde et la troisième tranche du chantier, concernant le gymnase, le bâtiment de l’administration et des logements et l’aménagement des cours et des divers réseaux. Tous les travaux sont achevés en 1967, date à laquelle le lycée prend le nom du philosophe Henri Bergson.

La construction, d’une grande sobriété, est en ossature de béton armé, avec poteaux, chaînages, poutres et dalles de plancher à chauffage incorporé. Les façades, qui respectent la trame d’1, 75 m prescrite par le Ministère de l’Education nationale, sont réalisées à partir de panneaux préfabriqués en usine comprenant l’encadrement des baies, les trumeaux et les allèges. Elles sont doublées de briques creuses et revêtues de parements en quartz coloré lavé. Les toits en terrasse de béton sont recouverts d’une étanchéité multicouches et de gravillon enrobé de bitume. Les menuiseries extérieures sont en chêne ou en niangon (bois exotique clair).

 L’entrée du lycée est paradoxalement peu marquée, puisqu’elle s’effectue par un mur-pignon dont la partie ouest, aveugle, correspond au développement de la cage d’escalier principale. Ce n’est qu’une fois les portes battantes franchies et une volée de marches gravies, que le visiteur, depuis le hall d’honneur magnifié par un sol en granito à motifs géométriques noirs et blancs, peut prendre conscience de la monumentalité de l’édifice, dont toute l’amplitude ne se saisit que depuis les cours.

Seule une grande composition en ciment teinté dans la masse et en mosaïque d’ardoise, pâte de verre et marbre, d’une superficie totale d’environ 116 m2, épousant les contours du mur latéral du gymnase, vient égayer la sévérité des élévations.

Réalisée en 1974 au titre du 1% artistique, elle est l’œuvre de l’artiste François Baron-Renouard (1918-2009), un peintre de la nouvelle Ecole de Paris[4]. Sa maquette avait reçu l’accord enthousiaste du recteur de l’Académie de Paris : « j’y retrouve, à travers sa technique non figurative, la liberté du geste et les effets d’eaux et de lumières propres au poète du paysagisme abstrait. Mouvements et statisme, fluidité et volumes, me paraissent très heureusement dosés et répartis sur cette vaste surface, avec un angle droit qui donne à la dimension un judicieux étai de perspective »[5]. Inspiré par sa première carrière d’officier de l’air, ses voyages en Chine et au Japon et par la contemplation de la nature, le travail de Baron-Renouard, proche de celui de Zao Wou-Ki, se caractérise par de véritables kaléidoscopes de couleurs éclatantes explosant en formes libres.  

 4/ Les modifications ultérieures

 L’établissement a subi de nombreuses modifications dans les années 1990 : ajout de marquises dans la cour ouest, réfection complète de l’entrée avec installation d’une rampe pour l’accessibilité, occultation des jours séparant les classes des couloirs, paliers entièrement remaniés et clôturés par des murs en pavés de verre, pose de faux-plafonds.

 Entre 1992 et 1994, le préau reliant le bâtiment principal au gymnase a été transformé en Centre de documentation et d’information (CDI)[6].

 En 2012 est lancé, sous la maîtrise d’ouvrage de la Région Île-de-France, un important marché pour la restructuration du service de restauration du lycée. L’enveloppe du petit bâtiment, prolongeant l’externat en retour sur la cour, est complètement retravaillée. Ces travaux sont menés dans l’objectif « d’améliorer l’accueil et le confort des convives sur les lignes de self et dans les salles à manger, sur la base des références régionales en la matière [et de] donner des locaux adaptés aux personnels s’occupant des cuisines »[7]. Cette opération est particulière car la surface de la nouvelle structure (seulement mille couverts) est prévue pour être inférieure à celle existante, du fait de la diminution des effectifs.  Elle est confiée à l’atelier d’architecture Vallet de Martinis, qui la conduit avec un certain respect de la structure établie par Jacques Carlu. Elle considère en effet que « les volumes généraux [sont] toujours appropriés à l'usage et exprim[ent] clairement les différentes fonctions ». Ils notent par ailleurs, dans la présentation de leur projet, que « les panneaux de façades [leur] paraissent d’une élégance qui ne demande qu’à être révélée ». Ainsi conçue dans le respect des choix qui avaient été faits par Carlu tout en apportant des solutions nouvelles correspondant davantage aux évolutions esthétiques de notre époque, cette restructuration s'avère être une adaptation réussie de l'aménagement du bâtiment[8].

 Le lycée a aujourd’hui fusionné avec le collège Jacquard voisin pour devenir la cité scolaire Henri Bergson-Jacquard.

  

[1] Archives nationales, 1994 0591/14, lettre du Recteur de l’Académie de Paris au Ministre de l’Education nationale, le 17 avril 1959.

[2]Archives nationales, 1994 0591/14, Conseil général des Bâtiments de France, section spéciale des bâtiments d’enseignement, procès-verbal de la séance du 3 mai 1960, relative à la construction d’un lycée mixte rue Edouard Pailleron (19e arrondissement). 

 

[3] Archives nationales, 1994 0591/14, Conseil général des Bâtiments de France, section spéciale des bâtiments d’enseignement, procès-verbal de la séance du 3 mai 1960, relative à la construction d’un lycée mixte rue Edouard Pailleron (19e arrondissement), p. 2.

[4] Archives nationales, 19880466/95, Seine, Paris (19e arrondissement), lycée Henri Bergson, rue Edouard Pailleron, arrêté du Préfet de la Seine agréant François Baron-Renouard à exécuter la décoration de l’établissement au titre du 1% artistique, en date du 28 juillet 1974.

[5] Archives nationales, 19880466/95, Seine, Paris (19e arrondissement), lycée Henri Bergson, rue Edouard Pailleron, lettre du recteur de l’Académie de Paris à Monsieur le Ministre des Affaires culturelles, le 27 avril 1974.

[6] Archives de Paris, 1941 W 302, Permis de construire 27 rue Edouard Pailleron (1992), transformation partielle du préau d’un groupe scolaire en centre de documentation et d’information avec la création d’une façade.

[7] CARRE, Anaïs, Renouveler l’architecture scolaire : l’exemple des lycées parisiens construits entre 1950 et 1983, Mémoire de recherche en Master 2 Histoire de l’Architecture, sous la dir. d’Eléonore MARANTZ-JAEN, Paris, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2015-2016, vol. 1, p. 114.

[8] Ibid., p. 116.

 

  • Murs
    • béton béton armé
  • Toits
    béton en couverture
  • Plans
    plan rectangulaire régulier
  • Étages
    étage de soubassement, 5 étages carrés
  • Couvrements
  • Couvertures
    • terrasse
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier tournant à retours avec jour en maçonnerie
  • Énergies
  • Typologies
    ;
  • Techniques
    • mosaïque
  • Statut de la propriété
    propriété de la région, Propriété du Conseil régional d'Île-de-France.
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler
  • Protections

  • Précisions sur la protection

    Label Architecture contemporaine remarquable (ACR) décerné en 2020.

Annexes

  • SOURCES
Date(s) d'enquête : 2020; Date(s) de rédaction : 2022
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel
Philippe Emmanuelle
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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Mercier Marianne
Mercier Marianne

Chargée du recensement et de la protection au titre des Monuments historiques

Correspondante du label "Architecture contemporaine remarquable"

Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Ile-de-France

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