Dossier thématique IA00141473 | Réalisé par
Philippe Emmanuelle (Rédacteur)
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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Mercier Marianne (Rédacteur)
Mercier Marianne

Chargée du recensement et de la protection au titre des Monuments historiques

Correspondante du label "Architecture contemporaine remarquable"

Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Ile-de-France

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  • enquête thématique régionale
Les lycées franciliens : la formation d'un modèle architectural
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    Ile-de-France

"Autrefois, l'école était une prison ; aujourd'hui l'on rêverait d'en faire un jardin. On y a fait pénétrer à longs flots le grand air et la grande lumière ; on cherche à en rendre les murailles instructives et souriantes. Nous voulons tout cela, messieurs, pour les petites classes de nos lycées. Nous leur donnerons tout cela ; j'en prends ici l'engagement..." [1].

Ainsi s'exprime en août 1880 Jules Ferry, alors ministre de l'Instruction publique. Depuis leur création, en 1802, les conditions d'installation des lycées préoccupent l'administration et donnent lieu à des prescriptions normatives de plus en plus nourries, afin de satisfaire les exigences, parfois contradictoires, de la discipline, de la pédagogie, de l'hygiène - et même de la gaieté et du confort, nouveaux critères d'une vie scolaire réussie. Une typologie architecturale s'élabore ainsi peu à peu, à la fin du XIXe siècle, pour forger, par petites touches et au gré des circulaires successives, le modèle d'un lycée idéal.

[1] LE CŒUR, Marc, « L’architecture et l’installation matérielle des lycées », in Pierre CASPARD et al., Lycées, lycéens, lycéennes. Deux siècles d’histoire, Paris, Institut national de recherche pédagogique (INRP), 2005, p. 364.

Les lycées franciliens : la formation d’un modèle architectural

Par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802), Napoléon Bonaparte institue les lycées. Le Premier consul veut sceller la prise en charge publique de l’instruction des futurs cadres dirigeants de la nation, en réformant et unifiant l’enseignement secondaire. Ainsi l’État garantit la formation d’une élite masculine dès le plus jeune âge, car les lycées comportent alors des classes élémentaires. Les élèves y reçoivent une éducation structurée par les sciences et les lettres, la discipline et le port de l’uniforme, qui renoue avec la tradition des collèges d’humanités de l’Ancien Régime.

La loi de 1802 planifie la création de quarante-cinq lycées sur l’ensemble du territoire, dont quatre dans la capitale. Le premier est le lycée Louis-le-Grand, puis l’arrêté du 23 fructidor an XI (10 septembre 1803) en installe trois autres, deux dans les murs des anciennes écoles centrales du Panthéon et de la rue Saint-Antoine (Henri-IV et Charlemagne), le troisième – Condorcet – dans l’ancien couvent des capucins de la Chaussée d’Antin.

Il faut toutefois attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour voir se dessiner une véritable politique de construction des lycées, dont l’essor est interrompu par la Première Guerre mondiale. C’est durant cette période fondatrice que les filles sont autorisées à y accéder, grâce à la loi Camille Sée de 1880. En 1914, Paris et sa proche banlieue comptent 13 lycées de garçons et 7 de filles.

L’inspiration conventuelle

Les premiers lycées investissent des bâtiments existants, ayant souvent appartenu à des congrégations, comme celle des génovéfains, à Henri-IV, dont l’ancienne chapelle est reconvertie en salle des actes. Conformément à l’instruction rédigée en novembre 1802 par Antoine-François Fourcroy, le directeur de l’Instruction publique, couvents, collèges et abbayes sont à peine adaptés à leur nouvelle destination : leur composition autour d’un cloître est préservée. Ce sont les fonctions d’enseignement et d’internat qui régissent la distribution des ailes qui l’entourent : salles de cours et réfectoires au rez-de-chaussée, salles d’étude et dortoirs dans les niveaux supérieurs.

En 1820 ouvre, sur le boulevard Saint-Michel, le lycée Saint-Louis, ancien collège d’Harcourt. Avec le lycée de La Roche-sur-Yon, il constitue le premier édifice bâti pour cet usage, qui met en application les principes édictés par Fourcroy, en l’absence de programme de construction spécifique. Mais peu à peu émerge la prise de conscience que seuls des bâtiments neufs vont permettre aux lycées de remplir pleinement leur mission.

Les règlements, d’abord empiriques, se font donc de plus en plus normatifs pour tenter de définir une véritable architecture de l’enseignement. Ces derniers n’effaceront pourtant pas la référence au cloître avec ses galeries et sa cour intérieure agrémentée d’un jardin, modèle que l’on voit persister jusqu’à la fin du XIXe siècle, comme aux lycées Molière (1888) et Buffon  (1889), tous deux conçus par l’architecte Émile Vaudremer.

L’influence des architectes rationalistes

En mars 1860, Gustave Rouland, ministre de l’Instruction publique, franchit une étape supplémentaire dans la réglementation en créant une commission composée de quatre architectes chargés d’expertiser les projets de constructions, de réfections et d’extensions des lycées. S’affranchissant du Conseil général des Bâtiments civils, cette instance est progressivement investie par des émules d’Eugène Viollet-le-Duc, adeptes de sa doctrine rationaliste et appartenant souvent au corps des architectes diocésains comme Joseph-Louis Duc (lycée Michelet à Vanves, 1862) ou Anatole de Baudot.

En 1882, ce dernier intègre la Commission des bâtiments des lycées et collèges, qui, tombée en désuétude après une dizaine d’années d’existence, est relancée par Jules Ferry le 20 juillet 1880. Vouée à encadrer les chantiers et à contrôler la bonne utilisation des prêts et subventions accordés par l’État aux municipalités, elle promulgue, en 1881, une « note relative aux conditions d’installation des lycées et collèges » pour encourager les architectes à rechercher des solutions originales et organise un concours d’idées, dont les résultats sont exposés au palais du Trocadéro en juin 1882. Anatole de Baudot participe à cette émulation en élaborant un modèle-type de lycée, qu’il théorise dans la presse spécialisée avant d’en proposer une réalisation fidèle à Sceaux (lycée Lakanal, 1882-1885). Avec Eugène Train, Charles Le Cœur et Émile Vaudremer, il règne sans partage sur l’architecture des lycées parisiens de la décennie 1880-1890.

Économie, fonctionnalité et recherche de salubrité caractérisent les établissements que ces maîtres d’œuvre dessinent. S’inspirant de la formule mise au point par Train au collège Chaptal (1863-1875), ils occupent un îlot entier et adoptent un plan en grille, avec des cours successives cernées de galeries couvertes, parfois superposées (lycée Louis-le-Grand, Charles Le Cœur, 1885-1888). Leurs bâtiments, simples en profondeur, permettent une double aération des pièces – comme dans le parloir du lycée Buffon. Ils sont reliés par de larges circulations courant sur le pourtour des classes (lycée Montaigne, Charles Le Cœur, 1885). Percées de nombreuses baies, les façades aux travées régulières préfigurent, à leur manière, les « trames » des années 1960 (lycée Racine, Paul Gout, 1887).

Lumière, air et couleurs

Si efficacité et hygiénisme prédominent dans les constructions scolaires de la seconde moitié du XIXe siècle, un incontestable raffinement décoratif pénètre à l’intérieur du lycée, huis clos contrastant avec la ville environnante. À la suite d’une grande enquête à l’initiative de Gustave Rouland, la circulaire du 20 décembre 1861 marque un tournant, martelant pour la première fois la nécessité de clarté, gaieté et confort pour les élèves. Il s’agit de se défaire définitivement de l’austérité de la caserne, de la prison ou même du couvent auxquels sont fréquemment comparés les lycées. D’une part, air et soleil doivent entrer en abondance grâce à la multiplication des sources d’éclairage : grandes surfaces vitrées dans les couloirs du lycée Molière avec application systématique du principe de second jour pour les classes, jardin d’hiver au lycée Montaigne, verrières zénithales, préaux.

D’autre part, un second œuvre aux teintes vives et claires s’invite aux points forts des établissements : grès émaillés polychromes dans le vestibule du lycée Racine, décor peint pour rejoindre l’administration au lycée Buffon. Puisant dans un vocabulaire ornemental traditionnel, frises sculptées, mosaïques, ferronneries, et plus rarement vitraux, se concentrent dans les entrées, les parloirs, ou encore les bureaux de la direction. 

Incitant à généraliser les « petits » collèges ou lycées, annexes des lycées parisiens, les instructions de 1881 et 1891 promeuvent des établissements plus joyeux que leurs aînés, de préférence implantés à la campagne. À Vanves, au lycée Michelet, et à Sceaux, au lycée Lakanal, le soin du corps devient prépondérant et dicte le parti architectural : des gymnases, une piscine, des salles d’armes… et des espaces pour la pratique sportive en extérieur font leur apparition.

Pour compléter cette prise en compte du bien-être des élèves comme critère d’une vie collective réussie, les modes de chauffage et d’éclairage artificiel, ainsi que le mobilier des classes, sont examinés avec attention. Cette évolution des aménagements accompagne le déploiement des règlements, instructions et circulaires, particulièrement ceux issus des lois Ferry, esquissant les timides prémices d’une corrélation entre préoccupations pédagogiques et programme architectural.

Entre tradition et innovation constructive

Sous l’emprise des principes rationalistes promus par les architectes de la Commission des bâtiments des lycées à partir de 1860, le lycée s’empare des techniques modernes qui s’épanouissent simultanément dans les nouveaux programmes d’équipements urbains – les gares, les marchés, les grands magasins, etc. Fer et brique s’invitent d’abord dans cette architecture scolaire, avant de laisser le champ libre au béton armé. Ils se laissent deviner dans les parties les plus fonctionnelles, par exemple la cage d’escalier du lycée Racine ou encore les gymnases, où les structures métalliques sont laissées apparentes.

En 1895, Anatole de Baudot achève le lycée Victor-Hugo, cinquième lycée parisien de jeunes filles et premier édifice public en béton armé. Cas d’école de la Troisième République, l’établissement conjugue une technique pionnière en ossature à une façade à l’apparence banale. Le remplissage de brique associé à une ornementation discrète de grès émaillés, pochoirs et sculpture masque entièrement l’innovation constructive – système Cottancin alliant dalles de planchers minces en ciment armé et piles porteuses de briques creuses enfilées sur une tige métallique.

S’inspirant de ce modèle d’économie et de pragmatisme, les lycées du premier XXe siècle reproduiront des principes identiques. Au lycée Pasteur de Neuilly, entrepris en 1912, Gustave Umbdenstock dissimule une structure intégralement en béton armé derrière des façades traitées à la manière de la grande architecture classique française – pierre, brique et ardoise évoquant ici le style Louis XIII. Quant à Pierre Paquet, il choisit lui aussi de mettre en œuvre le système Cottancin au lycée Jules-Ferry (Paris, 1913).

Employés au service de l’enseignement, les procédés retenus cherchent à réduire toujours plus le nombre de points porteurs, augmenter les portées de planchers, libérer les surfaces au sol et ouvrir les façades. Les lycées parisiens constituent en cela un intéressant laboratoire technique, qui aboutira, après la Première Guerre mondiale, au règne sans partage du béton armé.

La naissance d’une architecture républicaine

La multiplication des lycées impulsée par les lois Ferry fait triompher dans la capitale une architecture tant répétitive qu’identifiable en un clin d’œil. Profitant de l’urbanisme haussmannien qui perce de larges voies et libère de vastes îlots, les établissements occupent une place privilégiée dans la ville. Le lycée Buffon s’étire ainsi le long du boulevard Pasteur. Bien que présentant une morphologie introvertie, il développe comme ses confrères (lycée Montaigne, Charles Le Cœur, 1885) des façades imposantes, dont l’ordonnancement, l’emploi de bossages et pilastres, les portes monumentales couronnées de fronton, célèbrent l’instruction publique aux yeux de tous.

Dans le même temps, les murs se parent de symboles aisément lisibles, qui renvoient à la figure du futur citoyen exemplaire : la devise et le drapeau français, les disciplines majeures enseignées, les branches ou couronnes de laurier parfois et, plus souvent, les grands hommes de la France, tels Voltaire et Ampère au lycée Voltaire (Eugène Train, 1890).

L’architecture des lycées voit également disparaître définitivement la chapelle. Apparaît alors dans les cours le campanile à horloge, substitut au clocher et symbole de la toute jeune sécularisation de l’enseignement. Aussi les maîtres d’œuvre rationalistes se chargent-ils, par l’autorité qu’ils conquièrent sur la Commission des bâtiments, de « réécrire la tradition conventuelle et de lui donner un sens conforme au vœu de la République de progrès » (Jean-Yves Andrieux, L’Architecture de la République). C’est ainsi que dominent désormais les valeurs morales laïques, particulièrement dans les établissements de garçons. Au gymnase du lycée Buffon par exemple, « virilité », « endurance », « vaillance », « discipline » et « dévouement » sont au programme.

La Troisième République consacre donc le lycée comme un monument indissociable de son époque, à l’instar des hôtels de ville contemporains. Son inauguration, commémorée par une plaque apposée dans le vestibule (lycée Racine, Paul Gout, 1887), représente toujours un événement.

  • Période(s)
    • Principale : 2e moitié 19e siècle , daté par source
    • Principale : 1er quart 20e siècle , daté par source

Annexes

  • BIBLIOGRAPHIE
Date(s) d'enquête : 2020; Date(s) de rédaction : 2022
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel
Philippe Emmanuelle
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Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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Mercier Marianne
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