Dossier d’œuvre objet IM91001472 | Réalisé par
Philippe Emmanuelle (Rédacteur)
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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  • opération ponctuelle
Le Déambulatoire
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France
  • Commune Évry
  • Adresse Place des Miroirs
  • Cadastre 2020 AS 0029  ; 2020 AS 0092
  • Dénominations
    sculpture
  • Titres
    • Le Déambulatoire

Le Déambulatoire, sculpture-promenade monumentale en béton et résine bleue, située en bordure d'un grand bassin, est depuis plus de quarante ans l'un des "monuments" régulièrement mis en avant comme signe distinctif du territoire d'Evry-Courcouronnes. Conçue en 1976 par Gérard Singer, elle fait partie, avec la Dame du Lac (1975) de Pierre Székely, des premières œuvres d'art public à être érigées dans la ville nouvelle. Elle se dresse au cœur du quartier des Pyramides.

 

A la fin des années 1950, la situation de la région parisienne était préoccupante. Une croissance démographique accélérée la dotait de 150 000 habitants supplémentaires chaque année. Son parc de logements était vétuste, inadapté et surpeuplé. Paris concentrait l'essentiel de la vie économique et notamment les emplois de bureaux et la totalité des grands services et équipements de niveau régional. La banlieue, qui comptait 5, 7 millions d'habitants, était sous-équipée et dépendante de la capitale. Le réseau des transports n'avait pas suivi la multiplication des déplacements quotidiens, le métro s'arrêtait aux portes de Paris et il n'existait que 29 km de voies rapides (autoroutes du Sud et de l'Ouest). La structure administrative s'avérait enfin désuète puisque deux départements (la Seine et la Seine-et-Oise) rassemblaient les 9/10e de la population francilienne. La création du District de la région de Paris (1961), structure de coordination et d'aménagement, la nomination à sa tête de Paul Delouvrier comme délégué régional et l'élaboration par l'IAURP (Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Parisienne) d'un schéma directeur (1965) furent les points de départ d'une ambitieuse politique d'aménagement. L'une des réponses apportées à cette croissance inéluctable de la région parisienne par ce schéma directeur fut le projet de création de villes nouvelles, qui devaient constituer de vrais centres urbains et pôles d'activités, en réaction aux grands ensembles des années 1950, dans lesquels seule la fonction résidentielle avait été prise en compte [1].

L'une des cinq villes nouvelles destinées à naître autour de Paris devait s'implanter sur le territoire d'Evry et des trois communes voisines de Bondoufle, Lisses et Courcouronnes. Le 1er janvier 1968, la Seine-et-Oise disparut officiellement au profit de trois nouveaux départements, dont l'Essonne. Alors que le choix de Corbeil-Essonnes comme ville-préfecture aurait pu sembler logique, c'est finalement Evry-Petit Bourg (6000 habitants) qui fut choisie comme chef-lieu du département. La construction du premier bâtiment de la ville nouvelle, la préfecture, fut confiée à l'architecte Guy Lagneau [2]. inaugurée en 1971, elle s'éleva au milieu des champs de betteraves, en même temps que sortit de terre le premier quartier d'habitation du Parc aux Lièvres. En avril 1969 fut instauré l'EPEVRY (Etablissement Public d'Aménagement de la ville d'Evry), chargé d'acquérir des terrains, de les viabiliser, de les revendre avec droit de construire à des promoteurs ou des industriels, ou à l'inverse de constituer des réserves foncières.

La création du Déambulatoire est étroitement liée au concours d'architecture qui présida à la construction du quartier d'Evry I [3], lancé en 1969 par l'EPEVRY. Ce concours portait sur la création de 7000 logements (il y en aura finalement 2500), avec la volonté sous-jacente de rompre avec la monotonie des tours et des barres, qui sera définitivement condamnée par la circulaire Guichard (21 mars 1973), au profit d'un habitat intermédiaire entre individuel et collectif, offrant à chaque appartement une terrasse - d'où la forme en gradins, qui donnera son nom de "Pyramides" à cet ensemble.

L'idée du concours était également de réaliser un programme urbain intégrant de manière inédite et à grande échelle la création d'œuvres d'art. D'autres tentatives ambitieuses de ce type seront développées à Marne-la-Vallée (quartier du Pavé-Neuf) ou à l'Isle-Abeau (centre urbain Saint-Hubert). Le règlement du concours d'Evry I s'adressait ainsi à des équipes de concepteurs-réalisateurs et accordait une place particulière au traitement des espaces libres : places, rues, allées...L'EPEVRY prévoyait en même temps la création d'un fonds, alimenté par les promoteurs et les pouvoirs publics, destiné à financer des opérations-pilotes.

Le groupe UCY, composé de promoteurs, architectes, urbanistes, paysagistes, artistes et plasticiens remporta ce concours en 1972. Les architectes Michel Andrault et Pierre Parat, Paul Sirvin, le groupement d'architectes la SCAU (réunissant Michel Macary, Aymeric Zublena et Thierry Gruber), Bernard Lassus, coloriste plasticien, Gérard Singer, peintre et sculpteur, Bernard et Yvette Alleaume, sculpteurs, Baschet, sculpteur, se regroupent ainsi au sein d'un atelier de conception : le GARP. « Nous sommes partis sur l'idée qu'il fallait développer un habitat intermédiaire entre l'individuel et le collectif avec une terrasse pour chaque logement. Les immeubles étaient plus faciles à réaliser en gradins. D'où la forme d'une pyramide », explique l'architecte Michel Macary. Ces logements ont été conçus autour de cinq points : tissu urbain homogène et continu, espace privatif extérieur, espaces publics résultant de la forme du bâti, intégration des parkings et équipements, cheminements et perspectives étudiées avec des sociologues. Il s’agit d’une architecture dite « de dalle » : la circulation automobile est maintenue en périphérie du quartier, des parkings souterrains accueillent les véhicules et en surface, les cheminements sont exclusivement piétons et ponctués d'espaces verts et de squares. Cet ensemble de logements des Pyramides a reçu le label "Architecture contemporaine remarquable" en 2008.

Les artistes sont dès l'origine associés au travail général d'aménagement du quartier et à la réflexion concernant l'animation des espaces libres, mais peu à peu, ils optent pour des réalisations les concernant uniquement - à l'exception de Bernard Lassus dont l'intervention peut être considérée comme globale puisqu'elle vise à doter le quartier d'une ambiance visuelle forte (traitement des élévations des immeubles en HLM en fausses briques obtenues par moulage du béton armé teinté dans la masse ; façades "végétales" réalisées par incrustation dans les moules de coffrages en motifs de palmes et de bambous, également en béton teinté dans la masse).

La somme forfaitaire prévue dans le programme d’Evry I pour les interventions artistiques n’a pas permis de couvrir tous les frais. Elles ont pu être réalisées grâce à des subventions du FIANE (Fonds d’intervention et d’action pour la nature et l’environnement), du FIC et de la direction de l’Architecture du ministère des Affaires culturelles.

Bernard et Yvette Vincent-Alleaume font surgir des cheminements piétons des formes fantastiques faites de briques flammées et de céramique, évoquant un dragon, dont la tête et la queue émergent d'une allée qui a pris ce nom (allée du Dragon).

Gérard Singer réalise, quant à lui, un lieu insolite et singulier, en accord avec ses recherches artistiques, et sans lien apparent avec l'architecture du globale du projet.

Le Déambulatoire est donc bien le fruit de son expression personnelle, en cohérence avec les œuvres conçues tout au long de sa carrière. Né à Paris en 1929, Singer, à ses débuts de peintre, suit les cours de l'Atelier de la Grande Chaumière et de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris ; il expose au Salon d'Automne à partir de 1951. Il réalise ses premières peintures tridimensionnelles à la fin des années 1950, avec une série de tableaux-matières exécutés sur le site du laboratoire atomique de Saclay. Il se lie alors d'amitié avec des sculpteurs et des architectes, avec lesquels il s'associe pour initier une véritable intégration des arts et créer des "environnements" impliquant la participation du visiteur. Son intérêt se déplace de la surface vers le relief ; de peintre, il devient sculpteur. Dans ce cheminement, sa pratique de l'alpinisme a un rôle déterminant : "Peut-être que mon expérience de la montagne me fit trouver, tout d'un coup, la peinture bien plane. Avec mes premières peintures pénétrables, Mur pour l'autre jardin puis le Mur de Babel 65 sur lequel on pouvait marcher, une perception nouvelle se précise, s'affine...La conscience d'un rôle du vide, peut-être perçu en grimpant en tête, en libre...Une griserie d'état second, née uniquement du vide avec sa formidable présence justifiant et donnant toute son importance à la présence de la paroi. Ainsi un certain environnement peut agir d'une manière plus puissante sur les sens d'un individu que le ferait le sens". [4] Singer construit ainsi ses sculptures comme on escalade un mur : par montage de strates successives. Attiré par les nouveaux matériaux et technologies appliquées à l'art, il commence à concevoir, dans le cadre du 1% artistique, des projets d'art mural en résine époxy ou en béton et polyuréthane. Proche de Kowalski, il rencontre aussi en 1966 Jean Dubuffet et partage avec lui ses expériences sur l'utilisation du moule en polystyrène brûlé au chalumeau pour réaliser des formes en négatif. Entre 1968 et 1990, Singer expose régulièrement son travail à la galerie Jeanne Bucher à Paris et y déploie des œuvres pensées comme des lieux de passage, comme L'Ambulomire (1968). Cet environnement bleu y occupe tout l'espace de la galerie Bucher. A partir des années 1970, l'émergence des villes nouvelles lui permet de se consacrer entièrement à des interventions dans l'espace public.

[1] "Villes nouvelles : de l'inéluctable au volontarisme bien tempéré, éléments d'un bilan", Cahiers de l'Institut d'Aménagement et d'urbanisme (IAU) de la Région Île-de-France, 1989, n° 87-88, p. 14-22.

[2] JACOB, Delphine. "Pierre Guariche, architecte d'intérieur : la préfecture de l'Essonne ou la modernisation d'une institution de la Ve République", In Situ (en ligne), 34, 2018.

[3] LACOUR, Virginie, GRONDARD, Aurélie, LE SAUX, Eve, dossier de candidature au label "patrimoine d'intérêt régional" du Déambulatoire d'Evry-Courcouronnes, Agglomération de Grand Paris Sud Essonne, 2020.

[4] FAUX, Monique, FACHARD, Sabine (dir.), L'Art dans la ville : intervention des artistes dans les villes nouvelles, Paris, Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles, 1976, p. 141.

Le Déambulatoire se trouve en bordure d'un bassin de 90 m de côté (qui n'est plus en eau aujourd'hui), au centre de la première tranche du quartier d'Evry I-Pyramides. Cette sculpture-promenade "créé un choc visuel inattendu dans le paysage urbain qui comporte trois temps forts : un belvédère situé sur des emmarchements en bordure de la place des Miroirs, qui surplombe le plan d'eau ; la "vallée des sommets" constituée par une succession de "colonnes" aux strates empilées, de 3 à 7 mètres de hauteur, à travers laquelle on longe ce miroir d'eau ; une coulée de lave qui épouse les marches et relie ces deux lieux. L'ensemble est réalisé en béton coulé dans des moules en polystyrène travaillés à la flamme par l'artiste, et recouvert de peinture polyuréthane bleue" [1]. Le Déambulatoire adopte ainsi l'aspect surprenant de stalagmites ou de pains de sucre géants, revêtus de résine bleu sombre à l'aspect brillant, qui se reflètent dans le bassin et sur les parois vitrées des immeubles de bureaux alentour. Il occupe une surface totale de 1100 m2 (3000 m2 développés).

Les formes stratifiées sont obtenues par le coffrage dans des moules de polystyrène expansé que Singer façonne à la flamme. Elles sont réalisées en béton coulé. Il projette dessus, après séchage, un revêtement protecteur sur lequel est coulé l’émail à froid de polyuréthane bleu. Les objets urbains, banc et éclairage, y sont incorporés. Les parties lisses et les sols sont travaillés directement en positif, l’effet de coulée étant obtenu par la fluidité du béton. 

Cette œuvre est assez proche esthétiquement du Canyoneaustrate, réalisé plus de 10 ans plus tard (1987-1988), sur le parvis est du Palais Omnisports de Paris-Bercy, construit par Andrault et Parat - à la différence que ce dernier se présente comme une sculpture en creux, dont le point bas se situe à 5 m de profondeur, qui évoque des gorges naturelles sur lesquelles tombe l'eau en cascades.

Le Déambulatoire est aujourd'hui intégré à un environnement profondément modifié par les rénovations portées par l'ANRU et le marché de maîtrise d’œuvre pour la restructuration des espaces publics de l’ensemble immobilier de la place des Miroirs. Elle a subi une importante amputation, qui a laissé place à une aire de jeux pour enfants. Les éléments verticaux ont été conservés.

[1] FAUX, Monique, FACHARD, Sabine (dir.), L'Art dans la ville : intervention des artistes dans les villes nouvelles, Paris, Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles, 1976, p. 230.

 

  • Catégories
    sculpture
  • Structures
  • Matériaux
    • béton
    • plastique
  • Mesures
    • h : 3 m
    • h : 7 m
  • Iconographies
    • géographie morphologique
  • Statut de la propriété
    propriété publique, Propriété de l'Agglomération de Grand Paris Sud Essonne.
  • Intérêt de l'œuvre
    À signaler
  • Précisions sur la protection

    Cette sculpture-promenade a été labellisée "patrimoine d'intérêt régional" par le Conseil régional d'Île-de-France en commission permanente du 1er avril 2021.

Date(s) d'enquête : 2021; Date(s) de rédaction : 2022
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel
Philippe Emmanuelle
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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