Dossier d’œuvre architecture IA93001082 | Réalisé par
Pouvreau Benoît (Rédacteur)
Pouvreau Benoît

Chargé de mission, Département de Seine-Saint-Denis, Service du patrimoine culturel.

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Philippe Emmanuelle (Contributeur)
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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  • opération ponctuelle
Cité des Anciens Ambroise Croizat
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Ile-de-France
  • Commune La Courneuve
  • Adresse 35-41 rue du docteur Roux
  • Cadastre 2023 AQ 0203
  • Dénominations
    maison de retraite, foyer
  • Précision dénomination
    foyer de vieux travailleurs
  • Appellations
    Cité des Anciens

La cité des anciens Ambroise Croizat est le second projet à La Courneuve de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture (AUA), atelier coopératif et pluridisciplinaire fondé en 1960. Jean Houdremont (maire de La Courneuve depuis 1959) sollicite l’AUA en 1962 par le biais de l'architecte Jean Deroche, rencontré dès 1956. Houdremont est alors jeune député communiste et Deroche secrétaire national de l’Union des Étudiants Communistes (UEC). C’est aussi au sein de l’UEC et de son journal Clarté que Jean Deroche se lie à Paul Chemetov à partir des années 1950, « prolongeant leur amitié datant de leurs années d’études et des combats politiques et "idéologiques" contre l’académisme ambiant ». Deroche rejoint Chemetov à l’AUA en 1961. Le foyer de vieux travailleurs est ainsi l’une des premières commandes de Jean Deroche. Elle est engagée en 1962, en même temps que celle de l’entrée du stade municipal Daniel Féry, avenue P. Vaillant-Couturier, édifiée courant 1963 (aujourd’hui détruite).

D’après le bulletin communal de décembre 1962, la réalisation de la Cité des anciens de la Courneuve fait l’objet d’une décision communale en juin 1962. Jean Deroche et Paul Chemetov sont sollicités et contribuent fortement à la définition du programme. Celui-ci est déjà esquissé alors que le rapport Laroque - du nom du conseiller d'Etat Pierre Laroque, "père fondateur" de la Sécurité sociale en 1945, qui dresse le constat de la paupérisation d'un nombre croissant de personnes âgées en France, véritables "laissés-pour-compte" de la croissance de la vie économique sous les Trente Glorieuses - paraît cette même année. Il préconise la généralisation des logements-foyers pour personnes âgées, en en proposant une première définition : « logements individuels assortis de services collectifs implantés dans un même immeuble ou, à défaut, à proximité immédiate ». Pour autant, ce rapport ne change rien au mode de financement qui reste lié à la loi-cadre sur l’urbanisme de 1957. Celle-ci donne la possibilité d’utiliser des crédits d’HLM pour la construction de logements-foyers, alors encore très peu affectés à ce type de logements, sinon par quelques grands opérateurs comme la SCIC. Ainsi, à la fin de la décennie 1950, ce sont surtout des « foyers de vieillards » qui font leur apparition, comme à Saint-Denis, mais ces lieux de détente et de restauration ne proposent pas d’hébergements.

Ce qui caractérise la cité des anciens Ambroise-Croizat est donc son programme très complet : « 1. Un bâtiment où seraient rassemblés tous les services collectifs (cuisine, restaurant, salle de jeux, salle de lecture, bibliothèque, bureau, sanitaire, terrasse, etc.). 2. Un ensemble de 36 studios construits sur deux niveaux avec salle de séjour, chambre, cuisine, salle d’eau, wc, placard. 3. Le pavillon du gestionnaire chargé de l’administration, de la tenue et de l’entretien du home. L’ensemble sera traité de telle sorte qu’il présente un aspect agréable, notamment par l’aménagement de pelouses, de massifs de fleurs, coin de repos avec bancs, et d’un emplacement pour jeux de boules », Eugène Rivoalan, maire-adjoint, « Pour nos anciens : un foyer et 36 studios », Bulletin municipal, décembre 1962.

Dès ce premier descriptif apparaît la pluridisciplinarité qui distingue l’AUA. Cette réflexion en amont est, en effet, l’occasion d’associer le collectif que forme l’Atelier d’urbanisme et d’architecture. Ainsi, Jacques Simon et Michel Corajoud sont pressentis pour les espaces verts, Annie Tribel, pour le mobilier et l’architecture d’intérieur et Max Soumagnac, pour la réalisation d’une œuvre d’art. Les ingénieurs Miroslav Kostanjevac et Richard Slama sont, eux, déjà consultés pour élaborer, avec les architectes, les solutions constructives dans le détail, de même que l’économiste Rino Brighi.

Ce travail se poursuit et le projet soumis en 1963 pour le permis de construire sera peu modifié : 32 logements, 20 studios de 18 m², 10 F2 de 25 m², pouvant accueillir des couples et deux logements de fonction, répartis dans deux ailes inégales et sur deux niveaux, au-dessus de caves, « où empiler les biens d’avant », comme l’écrit P. Chemetov. Le plan global est composé d’un bâtiment central circulaire d’où partent des passerelles ajourées qui relient les deux ailes accueillant les logements. Ces « rues intérieures », en pente douce, facilitent ainsi le déplacement des personnes âgées. L’organisation en chartreuse des logements permet à chaque appartement d’avoir son intimité préservée par une entrée décalée où se tient également la salle d’eau. Ce plan intérieur en chicane sera repris, notamment pour l’ensemble de logements E. Vaillant à Bagnolet, que Jean Deroche et Paul Chemetov réalisent entre 1965 et 1971. Le bâtiment central concentre, lui, les services collectifs, l’entrée principale, ceinte de bassins et, en contrebas, l’entrée de service, qui s’affiche librement. Formant en plan une spirale, le bâtiment s’enroule autour d’un impluvium circulaire directement inspiré du projet de diplôme de Jean Deroche, destiné à abriter un centre aéré.

L’ensemble bénéficie d’espaces verts imaginés par Jacques Simon en 1963 qui arborent les trois entités créées et le cœur du patio. Il tire partie de la topographie accidentée du terrain et plante dense en imaginant, par exemple, dans l’avant-projet de 1963, un bosquet au niveau du mur mitoyen sur lequel Max Soumagnac interviendra. Excluant volontairement les « massifs de fleurs » du programme, cette intervention sera complétée en 1966, après l’acquisition d’une petite parcelle complémentaire, par celle de Michel Corajoud qui imagine des bancs palissades très brutalistes en brique et bois. Il s’affirme ainsi comme paysagiste après avoir assisté Simon quelques années.

Max Soumagnac est vraisemblablement le dernier à intervenir avec une mosaïque abstraite très colorée, placée sur le mur mitoyen du pavillon voisin, non loin de l’entrée principale du foyer, et en regard de l’escalier qui mène au jardin central. Cette œuvre, composée de plusieurs éléments, joue sur des épaisseurs différentes et dialogue avec le béton brut. Elle est, pour Jean Deroche, « un fond de paysage » que l’on découvre depuis les salons du foyer.

Les réserves de la Préfecture de la Seine retardent de quelques mois le permis de construire, accordé en février 1964, et l’engagement du chantier, ouvert dans la foulée. En 1966, la cité des anciens A. Croizat est complètement achevée et mise en service. Elle est inaugurée en présence de Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF et député de la circonscription, en janvier 1967.

À Drancy, Deroche et Chemetov signent ensuite une nouvelle cité des anciens (Les Lilas, rue Jane Joye), en 1972-73, puis Deroche seul en conçoit une seconde l’année suivante (Les Myosotis, rue des travailleurs). Ils réalisent, enfin, à Romainville (Dercohe et Chemetov) et à La Courneuve (Jean et Maria Deroche), deux foyers sans hébergement (respectivement A. Croizat, rue Jaurès, 1966, détruit, et M. Paul, rue de la Convention, 1986, environ).

En 1967, un article publié dans la revue L'Architecture française consacré à la cité des Anciens de La Courneuve précise : "le budget restreint réservé à cette réalisation a conduit à rechercher des solutions franches et rustiques : ossature béton apparente, brique porteuse non enduite. Les panneaux de façade en bois et verre relativement pleins pour sauvegarder l'intimité [des résidents] varient à partir d'une trame unique". [1]

La cité des anciens A. Croizat se caractérise en effet par son architecture brutaliste, où les matériaux comme le verre, le bois, la brique et le béton mais aussi les pavés d’asphalte au sol, sont mis en valeur dans toute leur simplicité. L’influence d’Alvar Aalto, des Unités d’habitation ou des maisons Jaoul de Le Corbusier sont ainsi affirmées. Outre l’architecture, le paysage de Simon et Corajoud, le design d’Annie Tribel et la mosaïque de Soumagnac peuvent également être qualifiés de brutalistes. Ensemble, dans un processus créatif très égalitaire, ils parachèvent cette modeste cité des anciens pour en faire une œuvre manifeste de l’AUA. À juste titre, dans sa monographie de 1986 consacré à l'AUA, Pascale Blin ajoute la dimension banlieusarde et politique de cet équipement, qui singularise les municipalités communistes de banlieue parisienne prenant soin de « [leurs] vieux papas et de [leurs] vieilles mamans », soulignant ainsi « la carence du Gouvernement ». Innovant, ce programme où « les vieillards sont des locataires autonomes » permet une vie en autonomie vis-à-vis des familles et anticipe les logiques de maintien à domicile dans un contexte où les retraités avaient peu de ressources et achevaient parfois leur existence à l’hospice. Publiée dans les revues professionnelles, la cité des anciens se voit ainsi saluer pour l’audace de son parti pris en 1969 par une publication américaine sur ce programme spécifique à l’échelle mondiale.

Si en 1986, Pascale Blin remarque que la cité a été très peu modifiée et y voit la marque d’une anticipation et d’une grande adaptabilité, c’est très vraisemblablement la perspective d’une coûteuse mise aux normes qui a précipité la désaffectation de celle-ci par l’administration communale au début du XXIème siècle. À partir de 2010, la rotonde est réaffectée à une crèche multi-accueil d’entreprises du quartier et une partie du jardin lui est réservée.

[1] "La cité des Anciens de La Courneuve", L'Architecture française, n° 295-296, spécial "Constructions sociales", 1967, p. 77.

  • Murs
    • béton
    • brique
  • Toits
    acier en couverture
  • Étages
    1 étage carré
  • Élévations extérieures
    élévation à travées
  • Couvertures
    • terrasse
  • Techniques
    • mosaïque
  • Représentations
    • représentation non figurative
  • Statut de la propriété
    propriété de la commune
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler
  • Précisions sur la protection

    La Cité des Anciens de La Courneuve a reçu le "label patrimoine d'intérêt régional" qui lui a été décerné par le Conseil régional d'Île-de-France en mars 2019.

Annexes

  • SOURCES
Date(s) d'enquête : 2019; Date(s) de rédaction : 2023
(c) Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel
Pouvreau Benoît
Pouvreau Benoît

Chargé de mission, Département de Seine-Saint-Denis, Service du patrimoine culturel.

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Philippe Emmanuelle
Philippe Emmanuelle

Conservateur du patrimoine, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire.

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